La Fondation pour l’innovation politique, ou Fondapol, think tank de l’UMP, vient de livrer une étude sur la jeunesse du monde. Une « enquête planétaire » sous-titre le luxueux fascicule qui est l’occasion de s’interroger sur ce genre de production intellectuelle. La planète n’est pas hors de portée d’une étude empirique faite à coups de sondages puisque l’enquête a été sous-traitée au sondeur TNS-Opinion qui a interrogé 32714 personnes dans 25 pays. Magie du sondage par internet qui permet de contacter autant de monde en si peu de temps et autant de pays. La méthode habituelle est appliquée : quotas d’âge, de genre et de lieu d’habitation. Avec une réserve sur la population des pays émergents où les catégories supérieures sont sur-représentées. Une caractéristique oubliée ensuite, comme tous les biais des populations interrogées en ligne - échantillon spontané ensuite corrigé selon la méthode des quotas - sans pouvoir opérer les autres types de redressements qu’exigerait le volontariat.
Ce n’est rien au regard de la différence des pays dont on pourrait croire, choses égales par ailleurs, comme les capitaux en somme, qu’ils partagent la même culture et le même régime politique. Comment comprendre par exemple que les jeunes Chinois viennent en tête pour la confiance dans le gouvernement (71%) et dans le parlement (68%) ? Un régime exemplaire sans doute, qui satisfait ses jeunes et laisse la liberté d’expression se déployer sur la toile. Faut-il prendre d’autres exemples ? Dans ce mélange d’inhibition méthodologique et de comparatisme sauvage, on évite aussi de comparer les données d’opinion aux réalités. Ainsi de la pollution dont on apprend que les jeunesses les plus sensibles au problème sont en Chine et en Inde. Nulle part, on ne mentionne que ces pays sont particulièrement sinistrés par la pollution et qu’en outre la préoccupation est légitime sans risquer de s’aventurer en terrain politique dangereux.
Mais qu’importe le réel. A la lecture de ce genre d’étude, on comprend mieux les raisons. On s’attache aux perceptions. En politique, le réel importe moins qu’elles. C’est le trait essentiel du régime d’opinion puisque c’est là le levier sur lequel il faut agir pour conquérir les votes. Voila en quoi les sondages sont devenus la clef de la compétition politique.
Et puisqu’il s’agit de servir les partis politiques, on ne s’étonnera pas que les think tanks fassent bon ménage avec le wishful thinking. Par exemple, en quoi la sensibilité des jeunes des pays les plus pollués permet-elle de se rassurer en démentant certains adversaires ? Et de conclure que « la jeunesse des pays émergents affirmant sa préoccupation pour les questions d’environnement constitue bien l’une des dimensions de la mondialisation qui n’a pas été anticipée par les défenseurs d’une interprétation catastrophiste ». On se doutait bien que les écologistes n’avaient pas compris.
Il n’aurait pas été envisageable de ne pas profiter de l’occasion pour renforcer le message libéral conforme aux dogmes partisans. S’il le faut, les mauvaises nouvelles sont retournées avec audace. Si le pessimisme est le lot des pays d’Europe, on peut se consoler avec l’optimisme des pays émergents où comme en Inde, pays le plus optimiste où il semble de rigueur pour les riches qui ont répondu et pour les pauvres considérablement plus nombreux qui n’ont pu répondre en ligne et dont les conditions de vie ne peuvent être plus mauvaises. Il y a donc de la réserve d’optimisme. D’autant plus que les jeunes le sont plus pour eux-mêmes que pour leur pays : « Partout, la confiance en soi est plus forte que la confiance en l’Etat ». Le pays est ainsi devenu l’Etat. Excellent tour de passe-passe pour la foi libérale. Apprend-on une très mauvaise nouvelle ? Les jeunes Français sont les plus pessimistes au monde sur l’avenir de leur propre pays à égalité avec les jeunes de Grèce, un pays en pleine déroute économique. Cela ne concerne-t-il pas ceux qui sont au pouvoir ? Aucune responsabilité ? Le commentaire nous rassure : « deux pays sont confrontés à un brûlant déficit d’optimisme : le Japon et la Grèce ». Ouf ! On a failli avoir peur. La propension à défigurer le réel fut longtemps un poncif de la critique de la planification soviétique. Si on en doutait, on sait enfin que ce n’était pas la caractéristique d’un régime politique défunt.
Question : à quoi servent ces chères enquêtes ? S’il s’agit d’apprendre, elles ne devraient pas se satisfaire des facilités d’une pseudo science. S’il s’agit de publier de beaux fascicules sur beau papier et de se faire plaisir, c’est autre chose.