observatoire des sondages

Le culot et l’impunité

jeudi 19 juin 2014

L’affaire Bygmalion, fausses factures, financements illicites, dépassement de dépenses de campagne, etc. a été l’occasion d’une opération de "com" particulièrement osée. On passera sur les scrupules légalistes des politiciens impliqués qui demandent qu’on laisse faire la justice. Les faits sont d’ores et déjà prouvés, avoués et s’aggravent de semaine en semaine. S’agissant de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, on pouvait attendre des questionnements sur son implication, et qu’il ait été l’instigateur ou non, qu’il ait su ou non, des interrogations sur sa responsabilité. Après tout, il était le chef et donc il devait savoir. Il doit en tout cas assumer sa responsabilité y compris sa crédulité. Qui pourrait croire malgré les démentis du lampiste Jérôme Avrilleux qu’il ne savait rien sauf à croire qu’il ne voulait pas savoir. Vieille tactique politique. Toujours est-il que l’ancien président a dépassé le seuil de dépenses électorales de quelques centaines de milliers d’euros, s’est même plaint de l’injustice d’un dépassement mineur (!), ignorant les principes des contrôles légaux en la matière (encore une forme d’incompétence) et ayant appelé les sympathisants à combler le trou (le "sarkoton"). Il s’agissait d’un dépassement de 11 millions, voire 17 millions selon les dernières informations. Or qu’advint-il de ce séisme ? A côté des règlements de comptes, pour le moins normaux, au sein de l’UMP et la démission de son chef qui a plaidé lui aussi sa parfaite honnêteté, le culot semble la réponse la plus ordinaire de la politique française. Et il a été érigé en principe cardinal de conduite par Nicolas Sarkozy selon l’adage « plus c’est gros… ».

Au lieu donc de doutes sur la conduite du chef, un feu nourri de commentaires et réactions a tenté d’imposer la pertinence, la justesse d’un retour de Nicolas Sarkozy. De proches qui ne sont rien sans lui, rien que de très normal. De journalistes, de politologues, on est en droit de se demander quel est le degré de corruption, de soumission ou de naïveté. Bien sûr, les amis de Nicolas Sarkozy ont monté de haute main une contre manœuvre de communication. Est-on menacé de la justice, c’est le moment de revenir en politique. Il faut être devenu singulièrement indifférent au minimum d’exigences de probité publique pour s’engager dans cette voie. Rien d’étonnant quand on approche de près aujourd’hui le cynisme et la médiocrité morale des professionnels de la politique. Rien que des calculs d’opportunité, de profits, de combines etc. Et le meilleur moyen d’échapper à la justice n’est-il pas de la contrôler en contrôlant la présidence comme le montra l’élection de Jacques Chirac en 2002 ? La question n’a pas été évoquée par aucun commentateur. Aucun n’a explicitement envisagé l’hypothèse d’une stratégie de conquête du pouvoir pour échapper aux affaires. Comme aucun commentateur – ou presque – ne s’est penché sur les infractions massives aux lois sur le financement politique. Il fallait observer le silence significatif de gens de presse à une mise en cause rare faite par François Bayrou sur LCP (11 juin 2014). Il aurait manqué la vox populi à la campagne d’impunité orchestrée autour de Nicolas Sarkozy s’il n’avait été fait appel aux sondages. On pouvait compter sur le Figaro dont l’expertise en matière de manipulations a été suffisamment révélée par l’affaire des sondages de l’Elysée. Un sondage Ifop-Figaro Magazine (toujours la même association) nous apprend donc que Nicolas Sarkozy est toujours en tête des sympathisants UMP [1] (cf. encadré ci-dessous). Il faudrait les croire sur parole. Il est vrai qu’il est difficile d’avoir été berné et de le reconnaître et il est devenu encore plus difficile en France d’être bien informé quand les mêmes journalistes – l’auteur du commentaire notamment se multiplie sur tous les plateaux de télévision – et mènent eux-mêmes une campagne d’intoxication. Un mal profond du journalisme français dont les éditorialistes n’ont de professionnel que la carte de presse et se sont mués en agents d’influence. On n’en est plus à un scrupule près quand le principal intéressé prend de la distance sinon de la hauteur par le culot qui mérite de figurer au livre des records et ferait pâlir de jalousie tous les camelots. Nicolas Sarkozy, toujours dans le Figaro, en appelle à une autre façon de faire de la politique : « Il faut réinventer le modèle démocratique français. Notre façon de faire de la politique, l’organisation des formations et les idées » (Le Figaro, 29 juin 2014). Plus c’est gros…

Un push poll grossier

- sondage par internet et rémunéré : donc non représentatif.
- Une majorité de sympathisants UMP (54%) interrogés par l’Ifop souhaite que Nicolas Sarkozy soit le candidat du parti à la prochaine présidentielle. L’ancien président devance donc nettement Alain Juppé (22%) et François Fillon (8%). La prochaine élection présidentielle est prévue pour 2017.... dans 3 ans.
- La taille de l’échantillon est ridicule. L’effectif total de sympathisants UMP interrogés s’élève à 368. Autrement dit 198 sympathisants se sont prononcés en faveur de Nicolas Sarkozy. Si les affaires visant l’UMP ne constituent pas le meilleur moyen d’engranger des soutiens, pour ne rien dire du nombre de partisans ou d’adhérents, on peut cependant facilement imaginer qu’un effectif aussi faible ne saurait être représentatif des sympathisants de ce parti. Un statisticien, et qui souhaiterait le rester, ne se risquerait sans doute pas à qualifier ainsi un tel échantillon.
- La marge d’incertitude donnée par le sondeur est complètement fausse. Le chiffre de 2.2% avancé correspond à la population générale (2016 personnes sans distinction de préférence partisane) dont sont extraits les sympathisants UMP effectivement interrogés qui constituent l’échantillon réel et unique à prendre en compte pour calculer la marge d’incertitude. Pour un échantillon de 368 personnes, la marge d’incertitude s’établit à + ou - 6% env. (si l’on en croit le tableau général fournit par le sondeur). Difficile de ne pas voir dans cette "erreur" une tentative de tromperie.


[1A paraitre dans le Figaro magazine daté du 20 juin 2014, la notice détaillée du sondage est publiée en « avant première » sur le site du Figaro.

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