observatoire des sondages

Sans contestation ?

dimanche 29 septembre 2013

Deux sondages publiés le même jour sur des sujets fort différents ne souffrent apparemment aucune contestation tant les résultats sont massifs.

Selon un sondage BVA-Le Parisien Aujourd’hui-I>Télé (28 septembre 2013), 93 % des sondés considèrent que les Roms s’intègrent plutôt mal. Et 77% sont favorables à la proposition de « dire les choses comme Manuel Valls » tandis que seulement 22 % sont défavorables afin de « ne pas stigmatiser les Roms ». Selon un sondage Ifop-Sud Ouest Dimanche (29 septembre 2013), 92 % sont hostiles au vote des jeunes Français de 16-18 ans à des élections locales.

Il faut d’abord s’interroger sur la force de sondages qui assènent des chiffres comme des armes définitives. Pour le vote des jeunes, la messe est dite. Pour les Roms, c’est presque le cas. Il suffirait donc aujourd’hui de tels résultats pour régler les débats politiques. Gain de temps et d’énergie mais en même temps quel intérêt ? Un débat est censé se régler à coup d’arguments. Au lieu de cela des positions de principe hâtivement jetées sur la scène. Sans information. Il n’est peut-être pas indifférent de savoir que la plupart des gens sont hostiles au vote des plus jeunes et considèrent que l’intégration des roms est un échec. D’une certaine manière, il suffisait d’écouter autour de soi pour le comprendre. Il faudrait alors reconnaître aux sondages d’opérer comme des juges de paix dans le royaume politique de toutes les casuistiques et d’interdire à certains de prétendre exprimer l’opinion. A quel prix ?

On ne se demandera même pas si cela a du sens de demander à ceux qui ont le droit de vote de l’accorder à ceux qui ne l’ont pas. Pendant la campagne des banquets, les 240 000 électeurs censitaires n’auraient certainement pas donné leur aval à un élargissement du suffrage qui accoucha finalement du suffrage universel masculin en mars 1848. Dans le sondage sur l’intégration des Roms, les sondés ont été soumis à une alternative : étaient-ils favorables de « dire les choses » comme Manuel Valls ou au contraire étaient plus favorables au souci de « ne pas stigmatiser » les Roms. En apparence digne d’un devoir de philosophie de terminale, l’alternative est fausse. Manuel Valls a-t-il « dit les choses » ? N’y a-t-il que sa manière de dire les choses ? Les autres se soucient-ils de ne pas stigmatiser, au prix de la vérité ou en ne partageant pas celle de Manuel Valls ?

L’affaire a donc commencé par l’opinion d’un politique qui a posé la question de l’intégration comme un acte de volonté, un libre choix à la disposition des individus. Les Roms ne « veulent pas s’intégrer » ? On peut parier sans risque que si on leur proposait de devenir riche, de parler le français avec aisance, et même l’anglais international, de porter un costume cravate, de posséder une maison luxueuse, et même beaucoup moins, comme de gagner modestement leur vie, bref de s’intégrer, il seraient une très forte majorité à le vouloir. Sauf peut-être une infime minorité attachée à la vie nomade, aux fêtes sous la pleine lune au son des guitares, à la maraude, en somme ceux qui seraient conformes à un cliché romantique des gitans. C’est-à-dire aucun. Et si les pauvres choisissent d’être pauvres, on sait que les riches aussi. Ils le disent d’ailleurs et le méritent bien. Comme les pauvres d’ailleurs, selon les riches. S’il y a une raison de mettre en cause la pensée de droite de Valls, c’est sur ce terrain de la définition des problèmes : en optant spontanément pour une définition des problèmes sociaux en termes de libre arbitre, le ministre de l’Intérieur Valls pense comme un homme de droite qui s’ignore et qui peut donc protester avec sincérité de son ancrage à gauche.

A l’opposé, ceux qui se sont élevés contre son propos tombent aussi dans le piège des formulations. Si, 22% disent leur hostilité parce que cela risque de stigmatiser les Roms, on ne saura donc pas si c’est un jugement sur la vérité en général ou la vérité sur ce sujet ou encore la conception qu’en a Manuel Valls. Or, en la matière, tout propos descriptif peut être performatif et provoquer une stigmatisation. Même la simple vérité qui consiste à dire que l’intégration est un échec ou qu’elle est difficile peut compliquer la tâche. C’est un fondement habituel de la dénégation. Si Manuel Valls avait mis en cause la capacité de la France à intégrer les Roms faute de volonté politique, s’il avait désigné la difficulté de la tâche, la responsabilité n’aurait pas été rejetée sur les faibles. Aurait-on stigmatisé les Français ? Ou contesté la difficulté ? Sur ce sujet, on ne semble pas avoir fait beaucoup de cas des travaux sur les minorités, les ségrégations ou les problèmes d’éducation. N’y aurait-il pas de bons spécialistes et d’excellents travaux ? La politique caricature le débat politique avec de fausses alternatives. En reprenant les questions consacrées sans aucun recul, les sondages transforment le débat public en une parodie si pauvre que toute tentative de s’en mêler dégénère facilement en invectives et en vaines pétitions de principe. Epargnons les hommes et femmes publics qui, en cette occasion, ont perdu une nouvelle occasion de se taire. Mais écouterait-on quelqu’un qui dirait, la question est mal posée par le ministre, par ses adversaires, par les sondeurs et par les gens qui répondent à leurs questions apparemment si naturelles ou objectives.

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