observatoire des sondages

Sondages : pour en finir avec le malaise

mardi 15 mars 2011, par Alain Garrigou

Après une période de silence, les sondeurs se plaignent amèrement de la proposition de loi sénatoriale sur la réforme des sondages. On veut les assassiner... Et de se dépenser en manœuvres de veto. Le dispositif est sans doute rigoureux et peut-être complexe. Il y a peut-être plus simple comme nous le proposions dans un point de vue publié dans le journal Le Monde le 1er mars 1995 : appliquer strictement la loi sur le secret du vote.

D’où vient le malaise persistant provoqué par les sondages politiques ? Avant chaque élection nationale, les commentateurs et hommes politiques les invoquent abondamment, les révoquent de plus en plus rarement. Des critiques s’élèvent en contrepoint et rappellent des débats antérieurs. A première vue, on pourrait croire que rien n’a changé, que les mêmes arguments sont échangés sur le même problème alors qu’il n’en est rien.

Dans une période où les sondages devaient imposer leur crédibilité d’instrument de mesure de l’opinion, leur valeur se posait en termes d’exactitude comptable. Il fallut que les sondeurs fissent leurs preuves. Les erreurs et échecs ont été vite oubliés quand les sondages ont effectivement prédit le résultat des élections. Ces réussites pratiques ont plus emporté les convictions que les savantes argumentations sur les méthodes statistiques de la représentativité des échantillons.

Des critiques s’attaquèrent alors aux effets que la publication des sondages pouvaient avoir sur les choix des électeurs. Celle-ci n’exerçait-elle pas une influence perturbant les mécanismes démocratiques ? A cette mise en cause, les promoteurs des sondages opposèrent que de tels effets n’existaient pas, ou bien qu’ils demeuraient minimes et de toute façon s’annulaient. D’ailleurs, les critiques avaient été incapables d’apporter le moindre élément de preuve.

La thèse de l’innocuité était finalement soutenue par un argument de bon sens apparent : ce n’était pas en cassant le thermomètre que l’on changeait la température du malade. Cet aspect du débat était ainsi largement tranché : les résultats et les comportement électoraux étaient correctement mesurés et n’étaient pas déformés par les sondages. Enthousiasme naïf ou intéressé, certains saluaient ce nouveau progrès démocratique qui donnait la parole au peuple. Gare alors aux sceptiques vite désignés comme antidémocrates.

Loin de cette caricature, des critiques scientifiques avaient avancé une série d’arguments qui ne se confondaient pas avec une dénonciation des sondages mais s’attaquaient à certaines méthodes, à leurs usages ou à leurs interprétations. Aussi bien fondées soient-elles, elles n’ont pas entamé la croyance dans la technique. On aurait beau jeu de faire remarquer que cette capacité de prévision sur laquelle l’autorité s’est largement fondée ne s’applique qu’aux sondages effectués immédiatement avant une consultation électorale, soit dans des conditions très proches d’un véritable vote, et qu’on est bien incapable de démontrer cette exactitude à d’autres moments, faute d’épreuve ou de vérification équivalente à une élection. Rien n’y fait. La loi du 1 juillet 1977 a d’ailleurs mis un peu d’ordre en instituant un contrôle des opérations et en interdisant la publication dans la semaine précédant le scrutin. On n’a guère vu qu’elle avait un effet inattendu en conférant un statut quasi officiel à l’instrument et à ses spécialistes. Leur autorité était en quelque sorte certifiée par l’Etat. Si certaines critiques en étaient réduites, c’était une nouvelle raison d’accroissement du malaise.

Le secret du vote n’est-il pas la victime d’opérations aujourd’hui légitimées ?

Ce malaise n’a en effet pas disparu avec la reconnaissance sociale des sondages ni avec leur réglementation parce que l’impression est demeurée que les mécanismes, sinon les résultats, de l’élection étaient affectés, quoi qu’on en dise. Les sondages interviennent de manière décisive dans la sélection des candidats, notamment dans certaines consultations comme les élections présidentielles.

Au-delà du nombre des candidats présentés au choix des électeurs, ils déterminent l’offre électorale en établissant aussi une hiérarchie de crédibilité qui sépare grands, moyens et petits candidats en fonction des intentions de vote. En donnant une image des chances des candidats potentiels, les indications des sondages déterminent l’engagement ou non dans la compétition ; autour de ces candidats potentiels ou déclarés, ils provoquent des anticipations, des calculs, des ralliements et des défections. Le concert des commentaires prend parfois des allures d’entreprise d’intimidation des électeurs. Des dispositions légales existent qui ne sont tout simplement pas appliquées. Les sondages ne devraient en effet pas échapper à l’obligation de secret du vote. Les raisons anciennes de ce principe comme la pression et la corruption ont largement disparu, mais pourquoi le secret du vote serait-il limité à prévenir ces seuls faits quand des mécanismes d’influence plus subtils peuvent ainsi être prévenus ? A ce compte, pourquoi ne pas abolir un secret qui ne protège plus des menaces qui pesaient sur la liberté du vote et en revenir à la publicité du vote ? Les sondages relèvent d’une procédure proche.

Dans la République romaine, on voyait ainsi se dessiner la victoire à mesure que les centuries votaient, ce qui dispensait d’aller jusqu’au bout de l’élection car, tels des augures, les premiers résultats étaient censés annoncer le résultat définitif. Dans les assemblées électorales de l’Angleterre du XVIIIe siècle, les électeurs inscrivaient successivement leur vote sur un registre public et chacun suivait l’évolution des résultats. Certains électeurs attendaient le dernier moment pour faire monter le prix de leur vote. On n’est pas aujourd’hui à l’abri d’autres formes de surenchère quand les candidats peuvent suivre l’évolution des scores jusqu’à la veille des élections.

Suffit-il de garantir l’anonymat des sondés pour que le secret soit respecté ? Il suffirait d’éliminer les questions sur les intentions de vote dans les périodes préélectorales. Seulement celles-là et à ce moment-là. Le commerce des sondages n’en pâtirait point puisque les commanditaires et utilisateurs trouveraient toujours de l’intérêt aux autres informations livrées. Cela n’empêcherait pas non plus d’interroger sur le vote émis dans les sondages de sortie des bureaux de vote puisque l’objectif du secret du vote n’en serait pas contrarié. Surtout, le malaise régulièrement ressuscité par l’usage électoral des sondages en serait dissipé. On objectera qu’il est trop tard pour les prochaines élections. Est-il trop tard pour demander aux sondeurs de respecter la loi en s’interdisant les questions sur les intentions de vote ou aux électeurs de refuser d’y répondre ?

Alain Garrigou

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