observatoire des sondages

Un non débat télévisé

mercredi 23 mars 2011

L’attachée de presse des éditions La Découverte m’appelle pour répondre à l’invitation sur un plateau de télévision. C’est la semaine qui suit le maelström médiatique provoqué par les sondages Harris Interactive plaçant Marine Le Pen en tête des intentions de vote pour 2012. Grâce à une absence à l’étranger, j’ai échappé aux sollicitations médiatiques, consignées sur un portable éteint. Est-ce important ? J’accepte. Premier problème, l’émission – café Picouly sur France 5 - a déjà invité Roland Cayrol qui refuse de débattre avec moi. Tant pis. On me rappelle, l’émission va proposer à un autre sondeur. Rappel : tous les sondeurs déclinent. Accepterai-je de tourner une séquence d’ouverture du débat. Il faut savoir parfois jouer les « idiots utiles ». Ne serait-ce que pour apprendre quelque chose des coulisses. Cela tombe bien, j’ai un créneau libre près de la gare Montparnasse le vendredi 18 mars. Au café Le Petit Journal, le cameraman est déjà là. Le journaliste arrive.

« C’est incroyable, me dit-il qu’aucun sondeur ne veuille parler avec vous. Blacklist », ajoute-t-il. Un compliment et de bonne guerre. A ma demande, il précise que Alain Duhamel rejoindra Roland Cayrol. « Chiant » juge-t-il. Il semble content de l’interview d’un quart d’heure environ. Il l’intitulera « la bête noire des sondeurs » me dit-il. Bien sûr je ne crois rien d’avance.

Le vendredi suivant, j’ai le loisir de regarder l’émission Café Picouly en soirée. Histoire de voir à quoi ressemble un idiot utile quand c’est soi-même et la teneur d’un débat télévisé. Brève présentation avec quelques coupures de presse et mon apparition à l’écran comme « chercheur en science politique » pour une phrase. Service minimal mais pas trahi. Alibi pluraliste sans doute.
Car quel pouvait être le débat de deux anciens commentateurs aussi liés aux sondages. Alain Duhamel était l’interviewer qui avait répondu au mépris pour les sondages du Premier ministre d’alors, Raymond Barre, « mais c’est scientifique ». Quant à Roland Cayrol, il a servi Louis Harris dans les années 1970 avant de s’associer à CSA en 1986 dont il a revendu ses parts à Vincent Bolloré. On ne risquait guère une vive polémique sur les sondages. C’est le premier résultat du choix de leurs interlocuteurs par les sondeurs. Ils interdisent tout débat. Un rapport de forces sans doute qui indique qu’ils sont en mesure d’imposer aux medias les termes du débat sur leur activité et donc les termes du débat politique. Dans une émission où les invités étaient au moins septuagénaires – même Guy Bedos à 77 ans en parut un peu gâteux – on avait aussi une belle illustration du dynamisme du débat intellectuel en France.

Confirmation : le seul différend portait sur la critique du sondage Harris Interactive faite par Alain Duhamel qu’il accusait à juste titre de surestimer le Front National parce que c’était un sondage en ligne. Sûr de sa malice, il lui opposait un sondage CSA dont il rappelait le lien avec son interlocuteur. Roland Cayrol acquiesça silencieusement. Il n’en tirait aucune conséquence. Les sondages en ligne. Bien sûr, ils sont scientifiques : « rendez-vous compte tous les sondages aux Etats-Unis sont faits par internet. Tous ! ». Les deux compères étaient d’accords pour ne rien changer. L’actualité était en effet là : la réforme en cours du contrôle des sondages. Statu quo déclarèrent-ils à l’unisson. Et personne ne vint démentir les contrevérités flagrantes qu’ils émirent à l’antenne. Il y a une déjà une loi qui fait l’affaire assura Roland Cayrol oubliant qu’il l’avait qualifiée de « loi scélérate ». Il y avait une commission des sondages qui faisait très consciencieusement son travail, oubliant qu’il l’avait rabrouée quand celle-ci avait fait une remontrance à CSA en 2007 et surtout que la présidente de la commission avait déploré son manque de moyens pour exercer son contrôle devant la commission sénatoriale. Quant aux redressements, les deux complices tombèrent d’accord pour dire qu’ils étaient communiqués à la commission des sondages – vrai – et qu’il suffisait de demander – faux. Et même délibérément mensonger. Quelle importance que les mensonges, la mauvaise foi et l’amnésie, ce n’est qu’une émission de télé qui s’oublie immédiatement.

AG

Lire aussi

  • C dans l’air ou le café du commerce

    17 avril 2014

    Ils n’ont pas résisté à la tentation de « refaire le match » en commentant longuement le sondage rétrospectif sur l’élection de 2012 si elle avait lieu aujourd’hui (OpinionWay-Le Figaro-LCI). Il faut dire (...)

  • Comment un sondage prolonge la rumeur

    2 février 2014

    Ceux qui croyaient naïvement que les sondages contribuaient à la démocratie ont chaque jour une raison supplémentaire de se retourner dans leur tombe. Parmi d’autres arguments faibles, ne disaient-ils (...)

  • Temps de paroles : la comptabilité de « C Dans l’air »

    5 avril 2012

    « C Dans l’air » est la seule émission politique quotidienne de la télévision française. La difficulté de trouver un sujet d’actualité ne saurait être sous estimée. Celle de trouver des invités l’est moins (...)