observatoire des sondages

Voter en ligne ?

samedi 19 mai 2012

Dans le relatif silence des sondeurs, le site BVA publie une information, peu fiable mais intéressante. Selon un sondage BVA-BFM-Challenges-Avanquest-Software, « un français sur deux « savait » avant l’heure le 6 mai » (BVA, 16 mai 2012). Les estimations de vote interdites avant la fermeture du dernier bureau de vote à 20 heures ont fait couler beaucoup d’encre de journalistes qui se plaignaient de la primeur accordée aux médias étrangers, suscité l’intervention de la commission des sondages pour obtenir des garanties de non divulgation de la part des sondeurs et engagé des actions en justice puisqu’il y a eu des contrevenants à commencer par l’AFP.

L’information est peu fiable. Un français sur deux aurait déclaré par internet avoir « su » avant l’heure. A quelle heure ? Par quel moyen ? S’il s’agissait des téléspectateurs qui regardaient en direct les grandes chaînes, le spectacle des lieux de rendez-vous de la soirée électorale exprimait la victoire chez les partisans de François Hollande et la défaite chez ceux de Nicolas Sarkozy. Tout le monde a « su » avant 20 heures sauf à ne pas surfer sur internet, à ne pas ouvrir sa télévision avant 20 heures ou à ne pas la regarder du tout. Et dans ce cas, non seulement il est valorisant de prétendre savoir avant les autres mais il peut paraître stupide de ne pas avoir compris comme tout le monde. A moins que l’on soit légaliste au point de ne pas vouloir savoir. La difficulté à interpréter en l’état de telles déclarations leur enlève toute valeur. Mais la question n’a pas été posée pour cela si l’on prête attention au commentaire d’un commanditaire du sondage, partenaire commercial régulier de BVA. Avanquest-Software a sans doute payé la question de ce sondage omnibus même si la fiche signalétique ne nous dit pas, comme souvent, qui paie, quoi et combien.

Avec cette moitié de sondés qui savaient, le PDG d’Aquanvest prend la défense de l’égalité démocratique dans un commentaire :

"Bref, l’heure est venue de changer les règles archaïques qui, sous prétexte de rendre les Français égaux devant la loi, créent des disparités énormes entre nos concitoyens. Doit-on se contenter d’une fermeture de tous les bureaux de vote à 20h comme certains le proposent ? Il s’agirait d’un simple cautère sur une jambe de bois puisque dès 14h les premières informations circulaient…

Je crois plutôt venu le moment d’une vraie réforme des méthodes de scrutin pour intégrer la nouvelle donne.

Le vote par internet, s’il présente des risques de sécurité qui doivent être adressés, présente de nombreux avantages en terme de décompte des voix, de contrôle de la diffusion de l’information et d’accès à distance pour les personnes qui ne sont pas en France.

Faisant partie de ceux qui militent pour le numérique comme vecteur de croissance, avec entre autre, l’importance de faire passer l’administration à l’heure d’internet, il me semble qu’il y a là une occasion unique de faire un grand bond en avant..." [1].

Evidemment, la proposition prend un sens plus marchand quand on sait que la société Aquanvest-Software commercialise des logiciels informatiques et des applications pour internet, que son PDG est président du collège éditeurs du Syntec numérique et membre du Conseil national du numérique (créé par Nicolas Sarkozy en avril 2011). On conçoit mieux qu’il juge les règles anciennes du vote « archaïques », qu’il s’émeuve des « disparités énormes entre nos concitoyens » (tant que cela !) et qu’un simple aménagement des horaires de fermeture des bureaux lui apparaisse vain par avance. Un solution : internet. Son promoteur passe vite sur les risques de sécurité qui « doivent être adressés » (sic), pour relever les avantages « en termes de décompte des voix, de contrôle de la diffusion de l’information et d’accès à distance pour les personnes qui ne sont pas en France ». Pour le premier « avantage », il s’agit sans doute de coûts de l’opération. Le vote en ligne serait moins cher que l’anachronique mise en place des bureaux de vote. Pour le second, on ne voit guère en quoi, le vote en ligne permettrait de corriger l’interdiction de publier avant la clôture du scrutin. Pour le troisième, c’est déjà en cours puisque les Français à l’étranger vont pouvoir voter par internet pour les législatives des 10 et 17 juin prochains, malgré toutes défaillances des précédentes expérimentations, les mises en garde, notamment de la CNIL, d’informaticiens et de spécialistes de la sécurité des réseaux, qui ont souligné les dangers de fraude, de piratage, de confidentialité non garantie, de sous-traitance à des entreprises privées, conflits d’intérêts, etc (cf. Législatives : de graves menaces de fraudes planent sur le vote par Internet). Mais s’il s’agit finalement de renforcer un « vecteur de croissance »…

Cette proclamation démocratique, moderniste et intéressée sur le site d’un sondeur ne manque pas de saveur quand on sait que l’infraction à la législation électorale a forcément été commise par des sondeurs qui faisaient des estimations ou des sondages sortie des urnes. On ne peut pas croire que le monde marchand s’est converti aux stratégies cyniques des politiques qui violent la loi pour justifier qu’on la change.


[1Cf. notice détaillée du sondage, p. 5.

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