observatoire des sondages

Comment les sondages ont fait le deuxième tour

mercredi 9 mai 2012

On ne pourra pas éviter la question des effets des sondages sur le résultat de l’élection présidentielle de 2012. Proposition de logique : si les sondages ont des effets, il faut qu’ils se trompent c’est-à-dire que leurs prédictions soient erronées. Or c’est exactement ce que l’on a vu avec les sondages sur les intentions de vote de deuxième tour annonçant constamment un large succès de François Hollande sur Nicolas Sarkozy (entre 54 et 56 % pour le vainqueur voire plus). A l’arrivée, le résultat réel a été largement au-dessous avec 51,6%. Les derniers sondages qui approchaient ce résultat, en annonçant un rétrécissement des écarts, n’enregistraient-ils pas les effets des sondages antérieurs ?

La campagne de l’entre-deux tours a donné un spectacle inédit dans sa simplicité avec un candidat favori qui en appelait au rassemblement le plus large et donc au score le plus net et un candidat challenger qui assurait la victoire toujours possible et suggérait même une surprise de soirée électorale. Il faut évidemment avoir confiance dans les sondages pour définir une telle stratégie et il faut aussi croire à leurs effets sur le vote. On a aussitôt reconnu une stratégie de bandwagon pour François Hollande, inciter les électeurs à aller au secours de la victoire, et une stratégie de underdog pour Nicolas Sarkozy, pour inciter les électeurs à sauver une victoire toujours possible. La première n’a pas fonctionné à l’inverse de la seconde : pas de quoi perdre ou gagner l’élection pour l’un et l’autre mais de quoi limiter les dégâts pour le candidat sortant. Voilà en tout cas l’hypothèse que semblent confirmer les reports de vote.

La stratégie du rassemblement le plus large possible pour un candidat dont la victoire est annoncée comme certaine obéissait à tant de raisons qu’on ne voit pas d’alternative : en continuité avec la stratégie rassembleuse du premier tour malgré des gages donnés à gauche (une tranche d’imposition à 75 %), posture présidentielle du favori et stratégie pour contrer un adversaire accentuant encore la droitisation de sa campagne. Mais n’avoir à proposer qu’un score plus élevé à des ralliés est à peu près vain puisque l’appel, adapté à des convaincus, s’adresse justement à des électeurs qui n’ont pas été convaincus au premier tour par le candidat. Autrement dit, les électeurs de Jean Luc Mélenchon du premier tour étaient d’autant moins portés à reporter leur voix sur François Hollande qu’ils voyaient en lui un représentant du social libéralisme. La proposition du candidat socialiste, présenté comme déjà élu, ne pouvait les séduire. Cela se vérifie-t-il dans les reports tels qu’on peut les examiner à partir de l’instrument des sondages de jour du vote ? (cf. notamment TNS Sofres-Sopra Group-Sciences-Po Bordeaux-Grenoble-Paris, 6 mai 2012) Il y a eu effectivement une déperdition des reports de voix d’environ 10 % d’électeurs de Jean Luc Mélenchon. On ne saura évidemment pas si cela aurait été différent dans une perspective de vote serré. On peut douter par exemple que ce jeune électeur bordelais ayant mis un bulletin Mélenchon avec un cœur dessiné n’aurait peut-être pas délibérément voté nul.

Dans l’autre sens, il ne faut pas oublier que la présence longue du Front National dans les luttes électorales et la durée de la crise ont stabilisé un vote d’extrême droite devenu plus important que le vote protestataire en faveur de ce parti. Pour ces électeurs d’extrême droite, l’ennemi, c’est d’abord la gauche et l’entreprise de séduction de Nicolas Sarkozy, aux limites des principes républicains, ne pouvait que séduire les plus hostiles à cette gauche même si cela faisait moins l’affaire du FN qui avait plus intérêt à la défaite de Nicolas Sarkozy. Plus de la moitié des électeurs FN (51%) n’ont donc pas suivi le vote de leur candidate tant la haine du rouge passait avant les intérêts du FN. Et seulement une petite minorité (14%) est allée vers François Hollande, électeurs protestataires et militants disciplinés du FN. Il n’y a donc pas eu la surprise que les partisans du président sortant attendaient en ayant joué sur l’effet démobilisateur des sondages sur les électeurs susceptibles de se rallier au vainqueur et au contraire sur la réaction de ceux qui avaient des raisons de ne surtout pas permettre la victoire du favori (cf. la déclaration de Frédéric Dabi de l’Ifop : Le dernier coup d’archet de l’Ifop).

Au lendemain du scrutin, la victoire du vainqueur a paru presque étroite à certains sur la foi des sondages. 51,6 % ce n’est tout de même pas si étroit au regard de plus d’un million de voix d’écarts. Et d’autres scrutins. Il est significatif que le journal Le Monde voyait une large victoire de François Mitterrand en 1981 et une courte victoire de François Hollande en 2012… avec le même score (Point de vue, images du Monde). Il ne faut donc pas sous-estimer l’amnésie et l’effet de perspective initié par les sondages. Jamais ils ne s’étaient autant installés au cœur des stratégies des candidats et des croyances des uns et des autres.

Lire aussi

  • Nicolas Sarkozy s’en prend aux sondages

    29 avril 2012

    On connaissait cette figure du débat politique sans cesse recommencée selon laquelle les sondages trompent quand ils ne sont pas bons. C’est la critique du mauvais joueur. Nicolas Sarkozy en avait (...)

  • Deuxième tour de l’élection présidentielle : les sondeurs se sont déjà trompés

    6 mars 2012

    A l’unisson, les sondeurs se sont publiquement étonnés des intentions de vote de deuxième tour de l’élection présidentielle qui donnaient tous un écart important entre les deux candidats. Et, après un (...)

  • Présidentielle : il pleut des sondages

    11 janvier 2012

    Après l’Ifop et le journal du dimanche (8 janvier 2012), c’est au tour de BVA et du Parisien de publier leur premier sondage d’intention de vote de l’année à la présidentielle de 2012. Seul le mode (...)