observatoire des sondages

Est-il permis de critiquer les sondages ?

mercredi 24 juin 2009

Les sondeurs ont la vieille habitude de poser en victimes. Ils seraient attaqués lors de chaque consultation électorale. Un rituel, remarquent-ils, comme une allusion aux rites sacrificiels [1]. Ce n’est pas une défense argumentée de leur travail mais cela a-t-il quelque importance ? Il ne faut pas s’étonner des critiques politiques quand les sondages interviennent aussi clairement dans la compétition politique. Il faudrait plutôt s’inquiéter si leurs verdicts étaient pris comme des paroles sacrées. La défense des sondages est aussi politique que les critiques qui leur sont faites. Elle choisit ainsi les critiques qui conviennent : superficielles et souvent erronées. Les critiques scientifiques ne reçoivent pas autant d’écho. A cet égard, la défense des sondeurs est désespérément faible malgré les velléités de quelques sondeurs dévoués. Or, contrairement aux remarques sur le caractère rituel des critiques, les critiques scientifiques n’obéissent pas au rythme des élections. Ce sont seulement les médias qui les relaient à ce moment et pas à d’autres. Et rarement beaucoup. En tout cas jamais sans sondeurs pour répondre immédiatement.

Il est en effet une chose dont ne peuvent se plaindre les sondeurs : ils reçoivent automatiquement et rapidement un droit de réponse. Ils ont beaucoup plus de temps pour répondre aux critiques qu’on en a laissé à ces critiques. Rapidement ? La charge de François Bayrou dans l’émission de « A vous de juger » en a constitué un nouvel exemple en suscitant cette invite de la meneuse de jeu, Arlette Chabot, au sondeur de service : « Brice Teinturier, répondez parce que quand un institut de sondage est mis en cause, forcément, il répond ». L’invite était aussi, sans le vouloir, un constat. Le lendemain, les sondeurs étaient collectivement présents sur France inter pour répondre [2]. Au lendemain du scrutin européen, Le Monde du 12 juin 2009 publiait une répartie indignée du Pdg de TNS Sofres à l’attention de François Bayrou. L’exercice est si régulier qu’il s’apparente, lui aussi, à un rite. Il mérite pourtant qu’on s’y arrête tant il montre, à chaque fois, la collusion entre sondeurs et journalistes. Certains journalistes seulement mais souvent les plus puissants.

Comment comprendre la protestation d’Arlette Chabot à l’ironie de Marine Le Pen sur les futures commandes de sondages par France 2 grâce à Nicolas Sarkozy. « Je pense que c’est inacceptable ce que vous dites ! », « Excusez-moi mais dire que les sondages sont payés par Nicolas Sarkozy, c’est absolument scandaleux ! ». L’accusatrice n’avait pas dit exactement cela mais l’indignation ne s’embarrasse pas de nuances. Pourtant, même la caricature suscitant le déni de la journaliste a bien existé. En 2006, le ministre de l’Intérieur commandait une enquête de 600 000 euros à l’Ifop pour l’étude de l’élection de 2007, le ministre ne payait pas mais qui prétendait qu’il ne décidait pas ? Il s’agissait de Nicolas Sarkozy. Le 4 juin 2009, la directrice de l’information de France 2 avait une double raison de s’enflammer pour défendre ses relations personnelles : Nicolas Sarkozy et Laurence Parisot, Pdg de l’Ifop. Dans le microcosme journalistique, quelques uns ont souri. Mais bien sûr, la vie privée n’a aucun rapport avec les affaires publiques. Vraiment aucun. Pourquoi en irait-il différemment dans cette sphère où la collusion s’est établie entre certains journalistes et les sondeurs au cours de longues relations personnelles et de travail.

La réponse est immédiate quand la critique est inopinée, elle est préventive quand la critique est annoncée. Il est rare qu’un critique des sondages soit invité en dehors d’un débat. Autrement dit, les sondeurs sont là pour se défendre. Y avait-on pensé mais l’inverse n’est pas vrai. Un sondeur publie-t-il un livre ? Il n’y a pas un critique pour lui répondre. Ce privilège est si banal qu’on ne le voit même plus. Suffit-il au contentement des sondeurs ? Non, ils ont d’autres réponses à la critique.

En pratique, le « cimetière » est sans doute la plus efficace défense des sondages. Le silence médiatique est forcément difficile à établir. On en connaît l’invariable dénégation : chacun est libre d’inviter ou de ne pas inviter ; il n’existe aucune espèce de pression et sinon elle serait fermement repoussée. Pour s’être prêté à ce genre d’expérience à plusieurs reprises, l’auteur de ces lignes peut bien livrer quelques expériences. On peut différencier trois cas de figure.

- Dans le premier cas, il existe une relation personnelle étroite entre journaliste et sondeur. Ayant publié un petit livre critique, je reçus un appel téléphonique de l’assistante de Yves Calvi pour l’émission C dans l’air. Sachant à quoi m’en tenir sur mes chances d’invitation dans une émission dont un des invités les plus constants et les plus amicaux était un sondeur, Roland Cayrol, je jouais le jeu d’une manière enjouée et modérée. L’assistante du meneur de jeu, avec une belle autorité plutôt inhabituelle, s’enquit de mes critiques. Au bout d’une heure, elle me prévint que je ne devais pas tirer de plan sur la comète et croire que j’allais être invité. Bien sûr, lui répondis-je. Amusé. Je ne fus pas « rappelé ». L’interview ne s’était pas fait pour rien puisque l’animateur eut tout loisir de reprendre les critiques face à deux sondeurs, Roland Cayrol et Pierre Giacometti, pas franchement amis, mais soudés pour l’occasion.

- Deuxième cas de figure : le journaliste ne peut se passer du sondeur. Ainsi étais-je contacté par l’animateur d’une émission de radio de fin d’après midi sur France inter. Le sondeur Roland Cayrol devait être présent. Je prévoyais son refus, anticipais-je. Un nouvel appel m’annonça que le sondeur avait présenté le choix : « c’est lui ou moi ». Un choix en apparence car l’institut CSA Opinion avait réalisé pour France Inter un sondage sur un village censé voter comme toute la France. Une opération fantaisiste et gratuite de promotion de l’institut pour laquelle il fallait bien que ses porte-parole soient présents à l’antenne, le matin et le soir.

- Troisième cas de figure : les sondeurs ne sont ni prévenus ni invités. Ils s’aperçoivent tardivement de la présence d’un critique des sondages sur un plateau. Ainsi ai-je été invité par une chaîne de télévision nationale au moment de la « primaire » socialiste de 2006. Pierre Giacometti, alors directeur d’Ipsos et aujourd’hui conseiller de l’Elysée, fut averti de la programmation du 13 heures. Appel à la rédaction, il demandait à être présent sur le plateau pour m’apporter la contradiction. Refus. Il obtint toutefois l’insertion de sa justification des sondages sur les sympathisants socialistes à la fin du reportage ouvrant le sujet. Cette intervention n’avait d’ailleurs qu’un rapport mal défini avec le reportage et l’entretien qui suivit. Cela ne devait probablement pas suffire car le directeur de l’information de la chaîne voisine, ami du sondeur, vint prévenir la rédaction qu’ils avaient invité un « escroc », comme le lui avait dit son ami sondeur.

Bien sûr, il est même des journalistes critiques. Il en est aussi qui sont simplement attentifs et sans liens de dépendance, ni personnels, ni politiques, ni idéologiques avec les sondeurs. Faut-il dire libres ? Qu’ils nous excusent de cette évocation rapide : ce n’était pas le sujet…

AG


[1« C’est un petit jeu classique dans la vie politique française et en période électorale tout particulièrement, on a un certainement nombre d’acteurs politiques qui s’en prennent aux sondages à défaut de s’en prendre aux médias, c’est un rituel, c’est vrai que habituellement ça se passe plutôt en soirée électorale, c’est un bouc émissaire un peu facile un institut de sondage, c’est finalement assez peu dangereux » Hugues Cazenave, président d’Opinionway, Talk OrangeTv-Le Figaro du 5 juin 2009, invité à réagir aux critiques formulées par François Bayrou lors de l’émission de France 2 « A vous de juger » diffusée la veille.

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