Les sondages de l’élection présidentielle ont déjà manifesté une originalité : les intentions de vote de deuxième tour ont marqué des écarts très larges entre les deux finalistes. La mésaventure de Dominique Strauss Kahn en aurait montré la fragilité si son substitut, François Hollande, n’avait bénéficié du même écart. Aussi fallait-il être prudent surtout après sa victoire à la primaire socialiste. On vit alors des sondeurs démentir leurs résultats d’intention de vote. Se souvient-on de cette déclaration rare et paradoxale de Denis Pingaud d’Opinionway à l’unisson de ses confrères : « Qui peut croire aujourd’hui sérieusement que Hollande battrait Sarkozy par 59 % contre 41 % ? » (Le Progrès, 20 septembre 2011). On prendrait presque le propos pour un aveu d’humilité s’il n’était pas si curieux qu’un sondeur récuse ses propres chiffres. Pourquoi ceux-là et non les autres ? La chose devient encore plus étonnante quand, plusieurs mois après, un sondage Ipsos-Logica-Le Monde (Le Monde, daté du 18 janvier 2012) donne le même score de 59 % pour Hollande et 41 % pour Sarkozy.
Une nouvelle fois, ne faut-il pas prendre au sérieux cet écart ? On aura du mal à trancher puisque les sondeurs maintiennent le secret sur leurs redressements. Au moins ne risquent-ils pas d’être critiqués sur ce point. Mais si ces chiffres redressés ne sont pas fiables, lesquels le sont-ils ? A en juger par les titres qui ornent les unes, il faut croire que ce sont « Les écarts qui se resserrent » au profit de Nicolas Sarkozy (JDD, 7 janvier 2012 ; Le Figaro, La Croix, Les Echos, 8 janvier 2012), ou bien « la montée » de Marine Le Pen (Libération, 9 janvier et 17 janvier 2012 ; Le Parisien 17 janvier 2012), ou encore un resserrement de tous les écarts qui place quatre candidats en finalistes possibles (Le Monde, 15 janvier 2012). En somme, les médias affichent une forte appétence pour le suspense. On devrait sans doute s’étonner d’une situation si paradoxale où les écarts amples ne sont pas jugés crédibles et où les écarts faibles le sont. En tout cas, ces derniers sont tellement plus stimulants. On croyait que les sondeurs devaient apporter des informations et non des incertitudes. A y regarder de plus près, peut-être est-ce un signe positif pour une profession comme le soutenait le sondeur sceptique sur ses propres chiffres : « contrairement à ce qu’on dit, sonder est un métier sérieux » (Denis Pingaud, Ibidem)