observatoire des sondages

La deuxième mort de l’IFOP

samedi 17 mars 2012

L’Ifop a deux bonnes raisons de faire figure de sondeur historique : une raison chronologique avec sa précocité – créé en 1938 après l’institut Gallup créé en 1935 - et sa large antériorité en France par rapport à ses cadets (la Sofres a été créée en 1962 seulement) et une raison de légitimité en la personne de son fondateur, Jean Stoetzel, universitaire spécialiste de psychologie sociale qui conférait un statut scientifique immédiat à l’invention. En 1978, jean Stoetzel fut évincé de l’entreprise qu’il avait créée et qui avançait sur des voies commerciales auxquelles n’adhérait pas son fondateur.

Après avoir été largement relégué dans la hiérarchie de taille et la réputation par les nouvelles entreprises, l’Ifop a été racheté par Laurence Parisot, issue d’une famille d’industriels et formée à Sciences Po, une école liée depuis longtemps à l’industrie des sondages. Sa tâche consista à « relever » l’entreprise en empruntant des voies que ses concurrents dénoncèrent alors comme des pratiques de dumping.

Il n’est pas indifférent que la propriétaire de l’Ifop soit devenue présidente du Medef, avec le soutien des entreprises financières et de services contre l’ancienne domination des entreprises industrielles et notamment de sa branche historique de l’UIMM. On se souvient de l’affaire interne de financements illicites déclenchée contre l’UIMM. Le patronat réglait ses comptes. On sait aussi la présidente du Medef très engagée publiquement derrière Nicolas Sarkozy. Cette position est-elle compatible avec la propriété d’une entreprise de sondages ? Il faut en juger sur pièces, c’est-à-dire sur la qualité des produits livrés par l’Ifop. Plusieurs années d’observation conduisent à répondre par la négative. L’Ifop fait les sondages les plus biaisés et les commentaires les plus partisans. (A titre d’illustration non exhaustive voir notamment : Sondage pousse au crime : l’Ifop et le Figaro plébiscitent Nicolas Sarkozy, la presse compte les points ; Santé publique : l’Ifop en lutte contre les pauvres ; Popularité présidentielle : le commentaire yoyo ; L’ennemi intérieur à la une : Le Monde, l’Ifop et la « menace islamique » ; Petit sondage entre soi : le droit de grève selon l’Ifop ; L’avenir de l’école selon l’IFOP : un instant de propagande ; Un nouveau push poll sur les retraites).

L’Ifop a profité de la marginalisation d’Opinionway après l’affaire des sondages de l’Elysée. Des sondages outrageusement tendancieux ont fleuri. Question qualité, l’Ifop participe à la course à la baisse en faisant systématiquement des sondages en ligne malgré leur absence de fiabilité. Il est vrai que cette méthode fantaisiste permet de pallier la difficulté toujours plus grande à trouver des sondés. Et de vendre ou faire cadeau de sondages meilleur marché. Dans le cas de l’Ifop, la qualité des panels d’internautes est encore plus faible que pour les autres sondeurs. Les membres de ses panels savent en effet pour beaucoup, en tout cas les internautes politisés qui sont toujours sur-représentés dans ces types de panel, que l’Ifop appartient à Laurence Parisot, présidente du Medef et proche de Nicolas Sarkozy. Or les internautes d’un panel reçoivent régulièrement des offres de participation à un sondage. Sauf à se désinscrire de la liste de diffusion, ils restent sur ce panel, ayant tout loisir s’ils ne le savaient pas de connaître le penchant politique du sondeur. On imagine facilement la réaction des internautes qui ne partagent pas ce penchant : ils mettent au moins en courrier indésirable les offres qu’ils reçoivent. Ce biais politique ne peut être corrigé par les redressements.

L’Ifop se livre à des acrobaties méthodologiques encore plus périlleuses en effectuant des sondages hybrides associant l’enquête par téléphone et l’enquête par internet. On ne sait jamais quelle est la part respective des sondés et les coefficients de redressement dont il faut remarquer qu’ils ne sont pas les mêmes. Avantages : on peut aller plus vite, c’est moins cher et obtenir de meilleurs résultats pour la droite puisqu’on sait que ces sondages en ligne donnent des résultats plus à droite que les sondages par téléphone. Tel était le sondage du 13 mars 2012 qui annonçait un « croisement des courbes ». L’Ifop ne s’arrête pas en si bon chemin. On observait depuis quelque temps son dernier gadget, le rolling poll ou sondage permanent, qui consiste à mener une enquête permanente en renouvelant chaque jour (par tiers) une partie de l’échantillon. Jusqu’alors, ce rolling poll était relativement discret. Le 16 mars 2012, le rolling poll de l’Ifop est devenu plus voyant puisqu’il s’agissait d’établir que « Nicolas Sarkozy poursuit la dynamique enclenchée la semaine dernière ». C’est le sens même des push polls que d’agir dans la continuité pour imposer les croyances. Il faut des complicités comme celle de l’AFP, dont les titres toujours tendancieux redoublent les commentaires des commentaires de l’Ifop. : « Sarkozy en tête cette semaine pour le première fois du rolling poll Ifop-Fiducial ». Il faut d’ailleurs à l’AFP expliquer aux lecteurs néophytes. Et soutenir mordicus que c’est « une méthode considérée comme fiable par les professionnels des sondages ». Pas des scientifiques en tout cas mais même pas des professionnels des sondages car on se doute que les autres « instituts » en feraient aussi. Mensonge donc. Il suffisait au rédacteur de la dépêche d’interroger la concurrence.

Le pire n’est pourtant pas dans ces errements méthodologiques mais dans l’économie des sondages en ligne. Dans le cas des rolling polls, ils prennent un aspect de « big brother is watching you » assez inquiétant puisque l’opinion publique est réactualisée chaque jour. Ils sont surtout rémunérés. Quand des sondages sont effectués pour promouvoir la campagne d’un candidat, cette rémunération, même modique offerte aux internautes et non indiquée dans la fiche « notice consultable auprès de la commission des sondages » (la petite muette), pervertit gravement les principes démocratiques. Le rolling poll du 16 mars 2012, réalisé par l’Ifop et Fiducial est donc un sondage payé par l’entreprise de la présidente du Medef et un grand groupe d’expertise comptable dirigé lui par Christian Latouche dont les affinités idéologiques avec l’extrême droite sont bien connues. Spécialiste du conseil juridique et financier aux entreprises [1], le groupe Fiducial paye également les sondages d’OpinionWay, dont la dernière livraison annonce Nicolas Sarkozy à égalité au premier tour de la présidentielle avec François Hollande avec 27,5% d’intentions de vote (OpinionWay-Fiducial-Le Figaro-LCI, 16 mars 2012) [2]. Le Sénat avait voté en octobre 2011 une proposition de loi interdisant ces sondages en ligne rémunérés. L’Elysée a mis son veto. On savait pourquoi. Aujourd’hui, on voit aussi pourquoi.


[1En novlangue fiscaliste on parle d’optimisation fiscale, autrement dit comment payer moins d’impôts.

[2Première aberration mais non des moindres du sondage d’OpinionWay, comme du rolling poll de l’Ifop et de tous les sondages en ligne : l’absence d’abstention.

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