observatoire des sondages

La route est libre pour les push polls

jeudi 7 juin 2012

La commission des sondages a au moins la capacité d’étonner. Saisie par la candidate PS de la deuxième circonscription de l’Aisne, Anne Ferreira, d’un sondage Opinionway-Fiducial-Le Figaro/LCI du 2 juin 2012, elle a réagi avec célérité comme il est normal pour une réclamation de campagne électorale. Si sa réponse ne risque pas de mécontenter les sondeurs, comme à l’habitude, les arguments ne manquent pas de saveur :

- « La taille de l’échantillon (552 personnes), d’une composition socio-démographique convenable, apparaît suffisante »

A partir de quel seuil cette taille n’est-elle plus suffisante ? On a vu récemment les échantillons des sondages [1].Jusqu’où peuvent-ils continuer ? Qu’est-ce qu’une composition socio-démographique suffisante convenable ? La commission dispose-t-elle des données locales de l’INSEE pour en juger ou fait-elle seulement confiance au sondeur ?

- « En admettant même qu’une marge d’erreur » puisse être calculée pour un sondage réalisé non à partir d’un échantillon déterminé de façon aléatoire mais selon la méthode des quotas, celle que l’institut a indiquée par précaution n’appelle pas d’observation ».

La commission reprend ici l’argument des sondeurs français selon lequel la marge d’erreur ne vaut que pour les échantillons aléatoires et non pour les échantillons par quotas. L’indiquer malgré tout serait une « précaution » offerte par de bienveillants sondeurs. Des mathématiciens pensent l’inverse mais il ne sera pas fait droit à leur argumentation. Quant à la logique, elle n’aura pas droit de cité car ne pas pouvoir calculer une marge d’erreur en termes purement mathématiques sur un échantillon par quotas ne signifie pas qu’elle n’existe pas. La marge d’erreur indiquée par certains sondeurs est donc bien celle des échantillons aléatoires, indiquée par assimilation. Certains sondeurs y répugnent d’autant plus que cette information a été réclamée par les sénateurs dans leur proposition de loi adoptée en octobre 2011. Et toujours pas inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée nationale. Il n’est pas insignifiant que la commission des sondages adopte l’argumentation des sondeurs les plus hostiles à toute réglementation.

- « Le partenariat entre Opinionway et le Fiducial des comptables n’est pas davantage de nature à affecter les études menées par l’institut »

On convient que la commission des sondages n’a pas vocation à contrôler les dépenses de financement des entreprises mais on continue à ne pas comprendre en quoi une telle entreprise a une raison commerciale de financer des sondages. Publicité ? Alors toutes les entreprises peuvent le faire. Une prochaine réforme des sondages devra régler ce point. Il est bien clair en effet que c’est la porte ouverte aux financements politiques illicites. On remarque au passage que Fiducial est le partenaire commercial de l’Ifop que l’Observatoire a accusé d’avoir produit des push polls. En outre, la loi de 1977 a bien donné à la commission la compétence pour vérifier les arrangements qui peuvent présider à la réalisation de sondages : « Elle s’assure que les personnes ou organismes réalisant des sondages destinés à être publiés ou diffusés ne procèdent pas par actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites, ou coalitions sous quelque forme et pour quelque cause que ce soit, ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d’empêcher ou de restreindre la même activité par d’autres personnes ou organismes » (article 5, loi du 19 juillet 1977). La commission des sondages n’en a pas les moyens. Qu’elle ne fasse donc pas semblant.

- « Vous avancez ensuite un grief relatif à la médiatisation de ce sondage et vous estimez être lésée par son « accompagnement médiatique ». La loi du 19 juillet 1977 a créé la commission des sondages pour veiller à la régularité et à la sincérité des sondages, mais elle ne permet pas qu’il soit porté atteinte à la liberté d’expression des chroniqueurs et commentateurs qui est totale  »

Belle défense de la liberté… de dire tout et n’importe quoi à partir d’un sondage. Cela ne présage pas des procédures judiciaires pour infraction au code électoral pour diffusion de « fausses nouvelles ». Les candidats peuvent les intenter indépendamment de l’avis de la commission des sondages. Celle-ci s’est référée au même motif pour menacer d’actions judiciaires les sondeurs et médias qui diffuseraient des estimations électorales ou des pré-résultats de « sondages sortie des urnes » avant l’heure de fermeture des derniers bureaux de vote. On ignorait par ailleurs que la commission des sondages avait été créée pour « veiller à la régularité et à la sincérité des sondages » expression tout simplement absente de la loi de 1977 mais manifestement empruntée au code électoral. Un petit signe de la substitution progressive des sondés aux électeurs ?

- « Enfin, le sondage a été payé par le Figaro  »

On apprécie d’autant plus la précision - la commission dispose-t-elle de la facture au Figaro ? - qu’elle n’a jamais demandé la facture des sondages payés par Publifact pour le compte de l’Elysée qui ont été signalés par la Cour des comptes dans son rapport du 16 juillet 2009.


[1530 sondés dans le cas du sondage OpinionWay Le Figaro du 24 mai 2012. En réalité les intentions de vote exprimées ne concernent plus que 440 et 382 personnes (cf. Le sort de François Bayrou selon OpinionWay et le Figaro). Même problème pour le sondage Ifop-JDD opposant Marine Le Pen à Jean Luc Mélenchon (cf. Jean-Luc Mélenchon contre Marine Le Pen : encore un sondage qui fâche).

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