Sondages en ligne sur TF1
L’entreprise de sondages en ligne OpinionWay remplace TNS-Sofres comme partenaire de TF1 pour les élections européennes de juin 2009. Au-delà de l’événement commercial, c’est un tournant dans l’histoire des sondages politiques. Opinion Way réalise en effet des sondages en ligne et non par téléphone ou en face-à-face comme les anciens instituts. Dans son rapport sur l’élection présidentielle de 2007, la commission des sondages avait exclu de son contrôle les sondages en ligne sans échantillon représentatif, malgré une visite d’explication de la méthodologie effectuée par les responsables de l’entreprise, et donc inclus implicitement (subrepticement ?) les autres qui enquêtent sur des panels d’internautes représentatifs. A plusieurs reprises cependant, les enquêtes d’OpinionWay faisaient état de la mention « fiche détaillée disponible à la commission des sondages » en dehors de toute obligation légale. On pouvait deviner un effort de longue haleine pour obtenir la reconnaissance officielle. Alors que ces notices sont légalement accessibles aux citoyens, nos demandes réitérées d’éclaircissement sont demeurées sans réponse. La reconnaissance a donc été enfin accordée en catimini.
Ce dénouement était prévisible pour une raison économique de coûts : les sondages en ligne sont moins coûteux et l’on sait que les enquêteurs téléphoniques ont de plus en plus de mal à trouver des sondés. L’évolution était donc inscrite dans l’évolution économique de cette activité. D’autre part, les liens politiques existant entre les dirigeants d’OpinionWay et l’UMP et donc l’Elysée, sont bien aujourd’hui connus. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que TF1, chaîne de télévision proche de Nicolas Sarkozy, choisisse ce nouveau partenaire pour couvrir les élections européennes comme un banc d’essai pour les futures élections présidentielles.
La reconnaissance par la commission des sondages, organe officiel de contrôle composé de hauts fonctionnaires, est autrement problématique. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour deviner les pressions du pouvoir. La question de la rigueur méthodologique des sondages en ligne aurait-elle été résolue pour justifier son revirement ? La réponse est bien évidemment négative. Selon une étude effectuée en 2006 par Esomar, organisme européen regroupant les instituts de marketing et donc peu suspecte de critique excessive, les sondages en ligne ne sont guère fiables puisque "54 % des internautes admettent mentir en ligne". On peut supposer qu’il y en a aussi dans ceux qui n’avouent pas. Mais plutôt que les graves questions méthodologiques sur la représentativité des échantillons d’internautes et autres problèmes de questionnement, l’usage d’internet introduit un changement capital dans ce qu’on pourrait appeler l’économie morale des sondages. Les internautes ne sont en effet plus sollicités au nom d’une expression citoyenne et gratuite mais en se voyant offrir la chance de gagner à un jeu de loterie des biens de consommation (appareils photos, bons d’achat, etc.). « Les Français savent que leur avis a une valeur », expliquait le président d’OpinionWay. Et de donner la recette pour « faire parler » : « il convient de suivre quelques règles : choisir l’incentive [1] qui correspond à sa cible (une bouteille de vin séduira plus les hommes que les femmes), savoir le doser en valeur (un cadeau trop cher attirera un certain type de population) […] C’est la seule façon de lutter contre la baisse tendancielle des taux d’acceptation des enquêtes sur échantillon » [2]. En d’autres termes, les nouveaux sondages sur les opinions politiques ou les intentions de vote sont donc payés aux sondés. Est-il besoin d’insister sur la révolution de principe introduite par ces sondages quand on sait par ailleurs la place croissante que les sondages ont prise dans la politique des régimes démocratiques.
Nous sommes prévenus d’un retour aux débuts du suffrage universel quand les candidats payaient les électeurs. La bouteille de vin rappelle les anciens rastels où on leur offrait généreusement à boire. A la fin du XIX ème siècle, ces mœurs électorales ont été sanctionnées comme corruption. Aujourd’hui, le procédé reçoit la caution officielle de la commission des sondages. Certes, les opinions des sondés ne sont pas des votes. Mais ce sont ces opinions de sondages en ligne qui vont contribuer à sélectionner les candidats aux futures élections. Et si bien lancés sur cette voie, on peut imaginer que les futurs votes aient aussi un prix. A en croire les évolutions récentes, les électeurs manquent d’incentives pour se rendre dans les bureaux de vote.