observatoire des sondages

Propositions pour une réforme de la loi sur les sondages d’opinion

mercredi 19 mai 2010

La loi du 19 juillet 1977 sur les sondages n’est plus appliquée alors que l’importance des sondages a considérablement augmenté dans la politique française : affaire de quantité avec la prolifération des sondages, affaire de rôle avec leurs effets sur la politique et affaire d’évolution avec l’apparition de nouvelles techniques comme le sondage en ligne. L’existence même d’une loi pose d’autant plus de problème qu’elle n’est pas appliquée. La fiction d’une réglementation n’est en effet pas anodine. On se souvient que la législation avait été décriée par les sondeurs qui y voyaient une gêne. Certains avaient même parlé avec excès d’une « loi scélérate ». Et puis, les choses ont changé. Les sondeurs n’ont jamais été gênés par un interventionnisme pressant de la commission des sondages. On ne peut citer aucune sanction sérieuse à son actif. Elle a toujours manifesté beaucoup de compréhension à l’égard des sondeurs. Et finalement, on peut douter de l’existence même d’un contrôle quand le rapport de la Cour des comptes de juillet 2009 a révélé des irrégularités qui n’ont jamais été relevées par la commission et ne le sont toujours pas alors que les preuves sont publiquement exhibées. Pour se dédouaner des critiques, il est même banal que les sondeurs invoquent la commission. On a pu définir sa fonction comme un « blanchiment ».

En somme, la loi de 1977 fonctionne aujourd’hui à sens unique dans le seul intérêt des sondeurs, c’est-à-dire forcément des moins rigoureux, alors que l’importance d’un contrôle est d’autant plus nécessaire que les sondages jouent un rôle plus important et que les problèmes de méthode sont aussi plus aigus que jamais. A certains égards, le retour à la déréglementation serait une meilleure situation qui laisserait chacun faire sans contrôle sinon de la concurrence comme les sondeurs continuent de le revendiquer d’ailleurs. Les conflits dans la profession auraient tôt fait de convaincre tout le monde des vertus d’une réglementation. La polémique amènerait encore plus de discrédit. Admettons qu’il est difficile de passer d’une loi de fiction à l’absence de loi. Il faut donc penser une nouvelle loi qui règle les sondages politiques et les sondages politiques seulement. Il est en effet clair que l’essentiel des sondages concernent le marketing où il revient aux clients de savoir s’ils sont satisfaits ou non. Par contre, la démocratie commence à être fortement biaisée par la sondomanie. Ce sont moins les sondages qui risquent le discrédit mais la démocratie. Quels pourraient être les directions de changement ?

-  La publication des corrections pour les sondages électoraux

Chacun sait aujourd’hui comment les sondages ont gagné leur crédit à partir de leurs enquêtes sur les intentions de vote. On sait aussi que l’approximation des résultats électoraux est permise par les corrections des réponses puisque certains choix électoraux sont sur-déclarés et d’autres sous-déclarés. Ces opérations ont toujours suscité les interrogations qu’elles sont opaques. Les sondeurs se sont toujours refusés à les divulguer : secret professionnel prétendent-ils. En fait, ils craignent surtout le soupçon que la connaissance de corrections ferait peser sur leurs résultats. Il est vrai que la correction est parfois très ample et que l’expérience et l’intuition y ont leur part. La profession a réussi en la matière une opération d’illusionnisme extraordinaire à plusieurs égards. Tous les sondages non électoraux ne sont pas corrigés tout en bénéficiant du crédit acquis par les sondages électoraux. Les sondages ne sont pas apparus moins scientifiques alors que les calculs étaient secrets au contraire des principes de démonstration scientifique. Le secret n’est donc défendable que pour des raisons commerciales. Cela est d’ailleurs le cas dans des pays voisins (voir pour la Grande-Bretagne les principes édictés par le British Polling Council) [1]. A partir du moment où il est reconnu que les sondages ont des effets politiques, comme plus personne ne le conteste aujourd’hui, il n’est plus envisageable de le maintenir. Il convient donc de prendre les citoyens pour des personnes sensées et capable de s’informer par la lecture des clefs de correction indiquées dans la fiche technique des sondages électoraux.

-  La publication des taux de répondants

La réponse aux enquêteurs a longtemps été le point aveugle de la méthodologie des sondages. Il allait en quelque sorte de soi que tout le monde était volontaire ou qu’à défaut cela n’entachait nullement le caractère représentatif des échantillons. La difficulté à contacter des sondés et a fortiori la difficulté inégale à contacter certaines catégories sociales met en cause la représentativité dès lors qu’elle atteint certains niveaux. D’autre part, les refus de répondre sont devenus trop importants pour ne pas entacher la représentativité des opinions. Autrement dit ce sont certaines points de vue politiques qui acceptent ou refusent plus volontiers de répondre aux enquêteurs. C’est même une raison des corrections effectuées sur les intentions de vote. Une bonne interprétation des sondages nécessite donc la publicité des taux de répondants. Opération facile pour les centres téléphoniques qui les font à l’occasion puisque l’enregistrement des appels est automatique. Il faut ajouter que ce contrôle s’impose d’autant plus que des entreprises de sondages se sont largement affranchies des limites anciennes des populations quand les effectifs de répondants descendent au-dessous de 500. Le taux de réponse est un élément permettant d’apprécier la qualité des sondages.

-  La publication de l’identité des actionnaires et de la composition du capital des entreprises de sondage

L’économie des sondages a beaucoup changé depuis que des professionnels indépendants souvent liés à des institutions de recherche ont créé les premières entreprises. Les concentrations effectuées ces dernières années, les achats d’entreprise par des capitaux privés et par des conglomérats, leur internationalisation sont partiellement connus. L’actionnariat doit être totalement transparent. Une disposition légale doit obliger les entreprises à faire une déclaration légale et à notifier tous les changements. Des règles de limitation de propriété devraient être précisées.

-  L’interdiction de la rémunération des sondés pour les enquêtes politiques

Les sondages en ligne ont introduit un changement important dans l’économie des sondages : la rémunération. Certes, celle-ci est modique puisqu’il s’agit plutôt de cadeaux et donc plus d’une gratification que d’une véritable rémunération. Il faut néanmoins se demander si ce n’est pas la porte ouverte à cette dernière. On prendra la mesure de l’innovation en se souvenant que les sondeurs ont toujours prétendu que les sondés répondaient avec bonne volonté sinon enthousiasme à leurs enquêteurs. On voit bien l’intérêt de cette affirmation qui soutenait la valeur démocratique des sondages d’opinion. A les croire, s’il y avait un motif d’insatisfaction, c’était de ne pas être plus souvent interrogés. Cette vision démocratique du sondage a été touchée de plein fouet par la difficulté croissante à contacter des personnes et par la hausse des refus de répondre. Plus précoce aux Etats-Unis où elle figurait dès les années 1990 en tête des préoccupations professionnelles, ce phénomène a longtemps été négligé en France où des sondeurs s’obstinaient à dénier le problème non sans quelque mauvaise foi. Les sondages en ligne sont apparus comme la solution à cette évolution. Elle a néanmoins soulevé des réticences pour des raisons méthodologiques. Il est pourtant une raison proprement politique de plaider une interdiction des sondages en ligne lorsqu’ils portent sur des sujets politiques : l’opinion est rémunérée contre tous les principes démocratiques. Une partie importante de l’histoire du suffrage universel a consisté à éradiquer toutes les incitations matérielles à voter, courantes jusqu’au début du XX ème siècle. Pourtant cette corruption était aussi modique que les gratifications que les sondeurs en ligne font valoir. Si l’on excepte l’entreprise qui a introduit les sondages en ligne politiques en France, les autres entreprises, plus anciennes, ont adopté cette technologie pour leurs enquêtes de marketing et en se refusant jusqu’à maintenant à les appliquer aux questions électorales. Evidemment, on ne peut complètement exclure des rémunérations plus élevées. Si leur importance est forcément limitée par les coûts d’enquête, des incitations plus attractives peuvent être jetées dans la balance. Si au lieu de proposer des prix de 7 ou 8000 euros, en fait divisés en petits lots, une entreprise proposait un gros lot comme dans les loteries, la signification de la rémunération, même ludique resterait-elle la même. Cette innovation est manifestement dangereuse pour la démocratie dont la légitimité repose sur le désintéressement.

-  La création d’une nouvelle commission des sondages avec une nouvelle composition, des attributions revues et un pouvoir de sanction

Tous les pays n’ont pas une instance de régulation. L’expérience française est mitigée. La commission des sondages créée en 1977 répondait à une préoccupation d’élus soucieux de délais de publication des sondages électoraux. Dans ses premières années, la commission est intervenue avec une certaine fermeté avant de devenir progressivement très discrète. La principale raison initiale de son existence a perdu de son intérêt avec la modification de la loi de 2002 qui limitait à 48 heures l’interdiction de publier alors que l’internet et la presse étrangère avaient vidé cette interdiction de sa substance. En outre, la composition de la commission – presque uniquement des hauts fonctionnaires juristes – n’était pas adaptée au contrôle technique. Enfin, le nombre des sondages à contrôler augmentait considérablement. La commission a été ainsi progressivement marginalisée dans un mutisme qui en a fait une institution fantôme. Une nouvelle législation ne peut laisser en l’état cette institution qui a échoué à la fois parce que son autorité a été réduite et qu’elle ne disposait pas de l’autorité nécessaire au contrôle qui s’impose aujourd’hui. Etant donné les causes de cet échec, une nouvelle commission – quel que soit son nom - devrait être composée selon le principe des autorités indépendantes avec une majorité de scientifiques (sociologues, politistes et statisticiens essentiellement) accompagnés de hauts fonctionnaires issus des institutions représentées dans la commission des sondages. Il faudrait aussi redéfinir les modalités de contrôle et d’intervention qui soient à la fois sévères et compétentes.

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