observatoire des sondages

Qu’est-ce qu’une cote de popularité ?

jeudi 30 août 2012

Un temps effacées par les intentions de vote, les cotes de popularité font à nouveau l’actualité. Surtout si les événements sont rares dans la torpeur de l’été, surtout si les chiffres marquent une fluctuation insolite. Or, le baromètre Ipsos-Le Point cumulerait deux révélations : la cote de popularité du chef de l’Etat passe au-dessous de « la barre des 50% » et elle chute de 11 « points ». Ainsi va le jargon des sondages. D’autres chiffres, différents, ont été publiés mais aussi moins intéressants.

Cotes de popularité de François Hollande (août 2012)
Favorables
Défavorables
TNS Sofres [1]
50%
45%
Ipsos [2]
44%
47%
IFOP [3]
54%
45%
CSA [4]
49%
47%

Il reste aux commentateurs à inventer la bonne formule, l’image, pour mettre en scène l’information : « un accident d’opinion sérieux » (Le Nouvel Observateur, 28 août 2012), « un trou d’air » (AFP, 28 août 2012), "dévissage sévère" (20Minutes, 28 août 2012), etc.

Pour consacrer de manière récurrente autant de place à ce type d’information, on pourrait penser que les commentateurs se sont interrogés sur les cotes de popularité. Cela n’apparaît pas à la lecture des commentaires. Il s’est donc trouvé plus de 900 personnes à chaque fois pour se prêter à un jeu de l’effeuillage de la marguerite puisque la question posée consiste à dire si l’on est « très favorable », « plutôt favorable », « plutôt défavorable » ou « très défavorable » à tel ou tel dirigeant. En plein mois d’août on ne sait s’il faut féliciter les enquêteurs d’avoir déniché ces sondés ou les sondés d’avoir donné leur opinion. Leur opinion ? Au moins les questions sont-elles à la portée de tous selon une conception de la citoyenneté qui ne s’embarrasse pas de complexité. Au moins de ceux qui ont répondu car il en est qui ne seraient pas à l’aise dans cette caricature de choix. Mais il y a sans doute aussi des sondés très convaincus et qui tiennent fort à « dire leur opinion ». Il en est aussi qui répondent pour rendre service au travailleur précaire qui les interroge. A la tête du client dont ils trouvent le visage plus ou moins sympathique sur l’écran TV du mois d’août. Il en est encore qui trouvent que la situation est tellement grave, si on en croit les chiffres du chômage ou leur situation financière qu’il faut bien s’en prendre à quelqu’un ou à l’inverse défendre ceux qui pourraient être pris pour boucs émissaires. C’est aussi cela l’opinion publique. S’agissant d’opinions peu consistantes, on aurait pu s’étonner voire s’inquiéter du niveau de popularité élevé de François Hollande après son élection, comme tous ses prédécesseurs, qui impliquait forcément des sondés ayant voté pour son concurrent quelques semaines plus tôt [5]. Tout le monde en convient donc, le chiffre est une addition d’opinions au degré de réalité très inégal depuis la forte conviction jusqu’à l’avis un peu au hasard. Mais voilà, il y a un chiffre et il faut qu’il dise quelque chose. Les commentateurs reconnaissent certes que la mesure est approximative ou imparfaite mais qu’il faut l’apprécier par son évolution. Et de comparer cette évolution à d’autres antérieures puisque les sondeurs ont constitué des archives. Et de comparer à 1995 pour la cote de popularité de Jacques Chirac, de 1997 pour Lionel Jospin, à 2007 pour Nicolas Sarkozy. A quoi cela sert-il sinon à produire du commentaire faute d’avoir quelque chose d’intéressant à dire.

S’il est en effet quelque chose de manifeste dans la publication des cotes de popularité, c’est qu’elles servent surtout les commentateurs. Pour justifier la récurrence de ces ratiocinations mensuelles, ils prétendent souvent que cela intéresse leurs lecteurs. Ils n’ont aucun élément de confirmation et il est beaucoup d’indices de l’ennui généré par ces articles alignant les « points » de sondage. Démentit-on cet intérêt supposé du public que les commentateurs n’insistent pas. Ils continuent cependant. Il est plusieurs raisons pour cela. On comprend bien l’utilité de sujets routinisés qui dispensent de chercher et de penser. Surtout lorsque les sondeurs livrent leurs diagnostics tout prêts. Comment résisterait-on à une accroche aussi simple qu’un chiffre au lieu de perdre son temps à trouver une idée originale ? Il y a toujours un chiffre qui peut servir pour commencer son papier « au moment où les Français sont plus de 50 % à penser que... ». Et encore moins comment ne pas se prévaloir de cette opinion face à un dirigeant politique pour amorcer l’interview ou jouer l’interlocuteur décidé. Face à un élu, le commentateur a aussi ses ressources de légitimité. On a tant évoqué la disparition de la presse d’opinion que l’on n’a pas vu poindre un journalisme d’opinion qui amène bien des commentateurs à se prévaloir de l’opinion publique pour jouer un rôle d’influence. Car quel intérêt intellectuel, esthétique ou autre à ces commentaires standardisés à partir des sondages, s’ils ne couvraient les prétentions à peser sur la politique ?

Une cote de popularité, cet artefact de sondeurs, n’a pourtant aucune espèce d’importance institutionnelle puisque les bavardages n’empêchent pas les dirigeants de diriger. Tout au plus cela inquièterait-il leurs soutiens et mettrait-il du baume aux blessures de leurs adversaires. Une politique de bistrot où l’on refait les matches et les équipes. Des compensations toutes virtuelles. C’est oublier les effets de la répétition. Une raison supplémentaire de s’intéresser à la mesure de la popularité. Dans une conjoncture économique et sociale très négative, il est probable que les cotes de popularité des dirigeants politiques soient très basses selon ce principe élémentaire de l’imputation de responsabilité. S’ils sont « responsables », il faut bien leur attribuer la responsabilité de ce qui se passe ou ne se passe pas. D’ores et déjà, sauf à croire que l’horizon économique s’éclaircira vite, les cotes de popularité vont appuyer les critiques du gouvernement. Le harcèlement a commencé [6]. On n’a pas fini d’entendre parler de crise de confiance, de doutes, d’impopularité et de propositions de changer de route ou de têtes. Il faudrait avoir des convictions politiques fortes, des idées claires et des buts fermes au-dessus des artefacts sondagiers pour ne pas se laisser impressionner. Et attendre les prochaines élections. Mais les gouvernants peuvent-ils rester indifférents à ce que l’on pense d’eux entre deux élections ? Depuis qu’ils sont évalués mensuellement, la mesure - quelle que soit sa valeur - a changé la politique.


[1Le Figaro, 28 août 2012.

[2Le Point, 27 août 2012.

[3JDD, 27 août 2012.

[4Les Echos, 27 août 2012.

[5Cf. par exemple les 61% d’opinions positives de BVA-Orange-L’Express-France Inter (28 juin 2012) ; ou les 58% de CSA-Les Echos, 24 mai 2012.

[6Rappel : « Popularité : François Hollande en chute libre », Le Point, 28 juin 2012, à propos du baromètre CSA-Les Echos affichant « 51% de bonnes opinions » en baisse de 7% par rapport au mois précédent.

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