Qui commande ? La question est suffisamment importante pour que l’identité du commanditaire doive figurer dans les fiches techniques publiées avec les résultats des sondages. Dans le cas des sondages électoraux, c’est une obligation légale. L’habitude a été adoptée pour les autres. En revenant sur cette question à propos d’un sondage CSA-Cecop sur les retraites, nous avions signalé que la « signature » n’était pas si transparente [1]. Un correspondant nous a répliqué que tout était clair puisque la présence du Cercle des épargnants était bien indiquée dans l’article de La Tribune (18 mai 2010) – ce qui est exact – et que, d’autre part, nul n’ignorait que ce cercle émanait de la société d’assurances Generali. Ce dernier point n’était cependant pas indiqué.
« Tout le monde le sait », ce point de vue des gens bien informés s’avère souvent infondé. Quoiqu’il en soit, il s’agissait d’expliquer que les résultats mis en évidence correspondaient aux intérêts du payeur. L’article de La Tribune faisait en effet état de données plus compliquées qu’un titre qu’il suffit de citer : « Exclusif : les Français prêts à travailler plus jusqu’à 62 ans pour sauver leur retraite ». Ce ne sont sûrement pas des nuances que de noter que les points de vue diffèrent selon l’âge des personnes interrogées, les tranches arrivant à la retraite très réservées sur le relèvement de l’âge légal et les retraités surtout soucieux de préserver le montant de leurs pensions. Pour le moins, le titre n’en retenait rien et même opérait un coup de force classique en amalgamant des populations hétérogènes. On pourrait être encore plus sévère avec tous les sondages sur l’âge de la retraite : est-il légitime d’interroger les retraités ? Ils ne donnent leur opinion que sur la retraite des autres. Ils ont d’ailleurs intérêt à ce que les autres, leurs cadets, travaillent plus longtemps pour payer leur retraite. Dira-t-on que l’intérêt des seniors est que les juniors travaillent pour eux ? Un point de vue provocateur ? Sans doute. Est-il plus trompeur que celui qui en catimini fait passer les coups de force comme de simples opérations comptables ? Ici, le biais est dans la composition de l’échantillon. Un biais technique en apparence, un biais idéologique en réalité.
Comme les lecteurs de La Tribune ne savaient pas forcément qui se cachait derrière le sondeur déclaré, l’ensemble des lecteurs de sondages le sait de moins en moins du fait de la mise en place de sociétés écran. Le sondage CSA-Cecop en est un bel exemple puisque deux écrans s’interposaient entre le financier réel et le sondeur. Le procédé se banalise. C’était aussi celui qu’a révélé la Cour des comptes à propos de la société Publifact, payée par l’Elysée pour acheter des sondages, essentiellement à OpinionWay. Déclarés comme sondages OpinionWay-Le Figaro-LCI, la société écran Publifact disparaissait elle-même [2]. Comment blanchir les sondages ? Il existe un savoir-faire immédiatement disponible dans d’autres secteurs des affaires…
Notre critique portait encore sur un fait qui n’a encore, à notre connaissance, jamais été signalé. Si la règle déontologique de la transparence du commanditaire est violée, c’est aussi qu’elle est reconnue. Elle ne concerne pourtant que les lecteurs de sondages. Quid des sondés ? Or, il suffit d’avoir été sondé pour savoir que l’enquêteur se présente au nom d’un « institut », terme utilisé pour faire scientifique et inspirer confiance [3], mais ne décline jamais le nom du commanditaire. Etait-il inutile pour les personnes interrogées par CSA de savoir que le sondage était payé non point par le Cecop, qu’ils ignorent le plus souvent, ni par le Cercle des épargnants qu’ils ignorent aussi souvent mais par la société d’assurances Generali. Sachant que celle-ci est favorable, comme il se doit, à un régime de retraites par capitalisation et agit pour l’imposer aux pouvoirs publics, le commanditaire n’est évidemment pas neutre. Est-il si aberrant d’en conclure à une instrumentalisation des sondés ? C’est déjà une réponse que de constater que la question n’avait pas encore été posée et qu’en la soulevant, nous n’avons pas été compris. Alors nous la posons en toute lettres : ne faut-il pas informer les sondés eux-mêmes de l’identité du payeur ?
Post-scriptum : Un autre correspondant nous fait remarquer que si l’identité du payeur est connue des sondés, les questions n’en seront pas moins, d’une autre façon, biaisées. Qui a dit le contraire ?