observatoire des sondages

Retour sur les sondages des régionales (III)

vendredi 30 avril 2010, par Nicolas Kaciaf

Du 1er janvier au 28 mars 2010, les entreprises de sondage français ont publié 96 rapports d’enquête comprenant au moins une question relative aux élections régionales des 14 et 21 mars. A défaut de comparaison avec une autre séquence électorale, cette donnée n’est en soi pas particulièrement significative. Il est en revanche intéressant d’observer la répartition chronologique de ces enquêtes. Ainsi, il faut attendre le mois de février pour que ce scrutin suscite l’intérêt des entreprises médiatiques, commanditaires quasi-exclusifs des sondages publiés. Sur les 414 questions recensées, à peine 12 ont été posées en janvier (8 d’entre elles concernant les intentions de vote).

Graphique n°1

Ce constat confirme la tardive mobilisation médiatique face à cette élection. Ce n’est qu’à partir de la dernière semaine de février, et surtout la première semaine de mars, que la commande de sondages prend une certaine ampleur. Ainsi, 73 % de l’ensemble des questions recensées ont été soumises aux interviewés entre le 22 février et le 21 mars, date du second tour. S’agissant des seules intentions de vote, 67 % d’entre elles ont été réalisées au cours de cette même période. Le nombre d’enquêtes réalisées avant le dépôt des listes et le début de la campagne officielle est donc demeuré limité, à la différence de ce qu’on observe à l’occasion des élections présidentielles. Sachant que l’échéance de 2012 suscite déjà de nombreuses anticipations du résultat final, on admettra que cette évaluation tardive des "rapports de forces" lors des régionales renvoie moins à une soudaine prudence méthodologique qu’à un relatif désintérêt pour ce scrutin. Deux éléments confirment ce faible investissement. D’une part, seules deux entreprises ont effectué des sondages le jour du vote, publiés le lendemain (Opinionway et CSA lors des deux tours). D’autre part, à peine les voix comptabilisées, les sondeurs ont évacué cet enjeu pour se pencher vers d’autres thématiques. Lors de la semaine suivant le second tour, on ne relève ainsi qu’une seule enquête invitant directement les sondés à revenir sur ce scrutin et ses enseignements [1]. Il va sans dire qu’aucune des questions de ce sondage ne concerne l’institution régionale et les attentes citoyennes à son égard…

Tableau n°1 : Répartition chronologique des questions d’intentions de vote (à l’échelle nationale et par régions) posées à l’occasion des élections régionales

Intentions de vote 1er tour
Intentions de vote 2e tour
Total
Total (%)
4-17 janvier
3
1
4
3,4
18-31 janvier
3
1
4
3,4
1-14 février
12
8
20
17,1
15-28 février
20
16
36
30,8
1-14 mars
25
20
45
38,5
15-28 mars
-
8
8
6,8
TOTAL
63
54
117
100

Cette relativement faible mobilisation sondagière s’explique sans doute par certaines spécificités de l’élection régionale. Éclatée en vingt-six scrutins locaux, concernant une institution aux compétences méconnues, impliquant modérément les leaders nationaux, cette élection se greffe difficilement aux grilles de lecture de l’actualité politique promues par les médias nationaux, que ces derniers se focalisent sur le « combat des chefs » ou sur les enjeux idéologiques des affrontements. En revanche, cette échéance électorale est l’occasion pour les entreprises de sondage d’être davantage sollicitées par des médias locaux (PQR, stations régionales de France 3 ou de Radio France notamment). En commandant une ou plusieurs enquêtes relatives à leur seule région, ces derniers affichent stratégiquement leur « proximité » avec leur territoire et sa population. Effectivement, une majorité des enquêtes recensées (51 sur 96, soit 53 %) repose sur un échantillon limité à une région particulière. Mieux : ce sont 78 % des intentions de vote (soit 91 sur 117) qui sont établies à l’échelle d’une région et non à l’échelle nationale.

Tableau n°2 : Effectifs des échantillons des enquêtes réalisées à l’occasion des élections régionales

nombre de Questions
Questions (%)
nombre d’Enquêtes
Enquêtes (%)
Échantillon national
177
42,8
45
46,9
Échantillon régional
237
57,2
51
53,1
Total
414
100
96
100

Deux remarques supplémentaires peuvent permettre de mieux apprécier les ressorts de ces plongées à l’échelon régional. La première porte sur l’inégal intérêt pour les opinions des citoyens selon les régions d’appartenance. "Fort logiquement", ce sont les inscrits d’Ile de France qui ont été le plus fréquemment sollicités par les entreprises de sondage (9 enquêtes comprenant au total 41 questions, dont 13 d’intentions de vote). À l’inverse, neuf régions n’ont suscité la publication d’aucune étude. Cette disproportion s’explique évidemment par l’identité des médias régionaux, leurs stratégies commerciales et leur capacité financière respective. Mais elle renvoie surtout à la notoriété des candidats, aux spécificités des enjeux locaux et à leur inscription dans les intrigues qui ont nourri la couverture médiatique de la campagne. Ainsi, marqué par « l’affaire Frêche », le Languedoc-Roussillon se situe à la deuxième place des régions les plus fréquemment sondées (8 enquêtes et 32 questions). C’est également le cas de l’Alsace dont les résultats conditionnaient la possibilité d’un « grand chelem » pour la gauche (6 enquêtes et 28 questions). Il apparaît dès lors que la focalisation des sondages à l’échelle régionale n’a pas eu principalement pour vocation d’apprécier, localement, les aspirations citoyennes. Au contraire, ce sont des problématiques nationales et proprement politiciennes qui expliquent l’intérêt différentiel du couple journalistes / sondeurs pour les enjeux locaux. D’ailleurs, alors que seulement 15 % des questions posées auprès d’un échantillon national sont des questions d’intention de vote, cette proportion s’élève à 38 % pour les questions posées à un échantillon régional (et jusqu’à 56 % si on y associe les questions mesurant la propension à aller voter ou la certitude du choix énoncé).

Tableau n°3 : Répartition des enquêtes selon les régions

Questions
Questions d’intentions de vote
Proportion des Intentions de vote parmi l’ensemble des Questions (%)
Enquêtes
Ile de France
41
13
32
9
Languedoc Roussillon
32
15
47
8
Alsace
28
9
32
6
Provence Alpes Côte d’Azur
22
8
36
4
Rhône Alpes
16
6
37,5
3
Champagne Ardennes
11
4
36
2
Midi Pyrénées
11
4
36
2
Poitou Charente
10
7
70
4
Haute Normandie
9
2
22
1
Basse Normandie
9
2
22
1
Franche-Comté
9
2
22
1
Lorraine
9
2
22
1
Centre
9
5
56
3
Corse
8
4
50
2
Pays de la Loire
7
4
57
2
Nord pas de Calais
3
2
67
1
Aquitaine
3
2
67
1
Bretagne, Auvergne, Picardie, Bourgogne, Limousin, Martinique, Guyane, Guadeloupe, Réunion
0
0
0
0
TOTAL
237
91
38
51

La deuxième remarque porte sur la taille des échantillons de personnes interrogées. Dès lors que leurs investigations se déroulent à l’échelle régionale, les entreprises de sondage tendent à réduire significativement le volume d’interviewés. En effet, tandis que l’échantillon médian des quarante-cinq enquêtes réalisées nationalement s’établit à 1000 individus, il n’est plus que de 800 sur les cinquante-et-une effectuées dans une région donnée [2]. La justification d’une telle pratique est sans aucun doute économique : n’interviewer que 700 ou 800 personnes prend moins de temps et coûte moins cher au commanditaire qu’enquêter auprès de 1000 personnes ou plus. Ces sondages low cost reposent certainement sur le mythe selon lequel si la « population mère » est réduite (il y a moins d’inscrits dans une région que dans tous le pays), l’échantillon d’interviewés pourrait lui aussi être réduit. Statistiquement parlant, une telle affirmation n’a toutefois aucun fondement : les marges d’erreur ne dépendent pas de la population totale mais du nombre d’interviewés [3]. Toujours est-il que seules neuf enquêtes régionales comprennent un échantillon supérieur à 1000 individus (huit d’entre elles étant réalisées par Opinionway).

Tableau n°4 : Effectifs des échantillons des enquêtes réalisées à l’occasion des élections régionales

Effectifs des échantillons
Nb questions
Nb quest. (%)
Nb d’enquêtes
Nb enq. (%)
0-699
8
1,9
2
2,1
700-799
140
33,8
25
26
800-899
78
18,8
28
29,2
900-999
19
4,6
8
8,3
1000-1099
101
24,4
27
28,1
1100-1999
18
4,3
2
2,1
2000 et plus
50
12,1
4
4,2
TOTAL
414
100
96
100

Graphique n°2

(A suivre)

Nicolas Faitak

[1Cf. « Au lendemain des élections régionales » (BVA / Canal +, terrain les 22 et 23 mars 2010). Bien sûr, dans d’autres enquêtes, « les Français » (enfin ceux qui connurent le bonheur d’être interrogés) ont été invités à se prononcer sur certaines des conséquences politiques (enfin politiciennes surtout) des résultats électoraux. Il s’agit par exemple de savoir si Nicolas Sarkozy demeure le meilleur candidat de la droite pour 2012 ou si Martine Aubry est devenue une présidentiable crédible. Mais, dans le libellé des questions posées entre le 22 et le 28 mars, ces passionnantes problématiques n’ont pas été mises en relation avec le scrutin. Elles n’intègrent donc pas notre enquête.

[2L’échantillon médian sur l’ensemble des enquêtes (nationales et régionales) comprend 853 individus. Quant à l’échantillon moyen sur ces 96 enquêtes, il est de 1064 personnes. Cette moyenne est cependant « gonflée » par les quatre sondages « jour du vote ». Si l’on retire ces derniers, l’échantillon moyen ne comprend plus que 872 individus. Pour les seuls sondages réalisés en région, cette moyenne s’établit à 797 personnes.

[3De toute façon, en établissant leurs échantillons par la méthode des quotas et en opérant différentes procédures de redressement, les entreprises de sondage ne peuvent mesurer avec précision les marges d’erreur de leurs enquêtes. L’entreprise Opinionway fait donc preuve de mauvaise foi lorsqu’elle indique sur ses rapports : « (…) Les résultats de ce sondage doivent être lus en tenant compte des marges d’incertitude : 2 à 3 points au plus pour un échantillon de 1000 répondants. »

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