Se souvient-on encore de la proposition de loi Portelli-Sueur votée à l’unanimité par le Sénat en février 2011 et bloquée à l’Assemblée nationale par le veto de Nicolas Sarkozy ? Depuis lors, un autre Président de la République a été élu et une autre majorité parlementaire qui étaient en principe favorables à la réforme des sondages. Depuis lors, rien. L’actualité des sondages est celle des records d’impopularité battus par François Hollande. C’est sans doute la plus mauvaise situation pour réformer alors que l’on suspecterait ses initiateurs de vouloir casser le thermomètre. Mais suspecterait-on les sondeurs de tenir le pouvoir en respect par leurs « mauvais sondages » ? Ils sont en tout cas les premiers gagnants puisqu’ils sont totalement opposés à toute remise en cause du statu quo. Le cynisme des commentateurs, si spontanés dans d’autres cas, n’est pas allé jusque là. Il existe des raisons plus profondes et plus graves à ce qui semble bien l’enterrement d’une réforme.
Les élections municipales ont été un fiasco pour le pouvoir et les sondeurs. Le Président voulait, ont répété des journalistes proches du pouvoir, « enjamber » l’échéance. Le mot est délicat. Cette espérance de limiter la casse s’appuyait en effet sur les sondages qui n’étaient pas si mauvais. Les résultats le furent. Et il ne s’agissait pas cette fois d’une mauvaise cote de popularité dont on sait qu’elle n’a aucune incidence sur la marche des choses tant que cela ne se traduit pas dans les élections par la perte des mandats, des sièges et des indemnités. Autant de communes perdues, c’est une déroute pour un parti dont plus de 40 % des adhérents sont des élus. Or les communes sont le grand réservoir des places. Certains maires sont venus grossir les rangs des chômeurs. L’ampleur du séisme a bien été traduite par l’urgence d’un remaniement ministériel qui tranchait avec la placidité antérieure. Croit-on que le Président ait éloigné les sondeurs et autres spin doctors ? Il a nommé à la tête du gouvernement l’homme de son camp qui bénéficiait de la meilleure cote de popularité. Bien évidemment, pour n’avoir pas compris quel était l’état d’esprit des électeurs, on s’en remet encore aux sondages. Comme les médias s’en sont remis aux sondeurs pour expliquer pourquoi les sondages avaient failli. Dans un système politique où les dirigeants font appel aux mêmes sondeurs pour prendre la mesure de l’opinion, faute de proximité avec les gouvernés. La division du travail politique amène les élus – mais les élus de base s’en défendraient, souvent à juste titre – à confier ces tâches à des auxiliaires de la politique. Les sondages rempliraient leur fonction s’ils renseignaient bien les gouvernants. Force est de constater qu’ils ne le font pas, que le « tableau de bord » ou la « boussole », comme ils disent, est faussé mais que, comme le « capitaine d’un navire dans la tempête », ils ne peuvent s’en passer. Trop tard ou rien d’autre. L’inexorable autisme des dirigeants – une dimension de la politique de plus en plus alarmante – est donc redoublé par de mauvais instruments de pilotage. A cet égard les dirigeants changent mais font toujours la même chose. Sans doute est-ce plus grave pour des dirigeants se revendiquant de gauche alors qu’ils partagent avec leurs adversaires les mêmes outils de mesure, en sont aussi dupes et avouent ainsi avoir perdu le contact. Les convictions pèsent peu face aux contraintes du métier politique.
Comme des joueurs invétérés qui pensent se refaire in extremis, il est improbable qu’ils changent de cap. Les dirigeants ne sauraient contrarier les sondeurs qui les conseillent, surtout si, comme tel sondeur, ils se prétendent amis du Président. La réforme des sondages n’est donc pas d’actualité malgré les fiascos répétés et les biais prouvés. Il faut bien en conclure que les sondeurs sont devenus trop puissants. Pour une profession qui suscite une grande hostilité, si on en croit les sondeurs eux-mêmes, c’est une belle prouesse que de rester omniprésente dans les allées du pouvoir et sur les plateaux médiatiques.