A l’approche des élections régionales de mars 2010, les sondages se multiplient pour battre probablement un nouveau record. Il serait vain de vouloir les suivre, les commenter et même les critiquer dans le détail. Ils n’ont en effet aucun intérêt. Comment peut-on s’arrêter à des sondages qui défient les règles élémentaires de la représentativité ? Censés porter sur des échantillons de 1000 personnes, on apprend que beaucoup de sondés ne sont pas encore sûrs d’aller voter (autour de 60 % selon les sondages) et qu’une partie non négligeable des autres ne livre pas d’intention de vote (autour de 20 % selon les sondages). Nous passons donc d’un échantillon de 1000 personnes à un échantillon « utile » de 500. Admettons que cela soit suffisant pour évaluer très grossièrement les gros scores (plus de 20 %), quelle est la valeur de pourcentages qui se situent au-dessous de 10 % ? L’opération est facile : il faut moins de 50 personnes manifestant une intention de vote pour 10% et moins de 25 pour 5%. Le chiffre absolu importe alors et sur des effectifs aussi réduits, le score est non significatif. C’est aussi ce qui explique les importants écarts d’un sondage à l’autre.
Pourquoi accorder alors une quelconque importance à ces chiffres ? Gageons que cela continuera jusqu’au bout. Les réponses sont multiples : vacuité du commentaire journalistique qui fait publier des sondages à la place des analyses ; inhibition méthodologique qui fait que l’ivrogne cherche ses clefs là où il y a de la lumière mais pas où il les a perdues, et peut-être surtout usage tactique des sondages. Dans le Languedoc-Roussillon, un sondage Opinionway-Fiducial-Le Figaro publié le 17 février 2010 a défrayé la chronique. Il accordait une très large avance à la liste de Georges Frêche sur celle de Hélène Mandroux. Un biais élémentaire affectait le choix entre la « liste divers gauche conduite par Georges Frêche » et la « liste de la direction nationale du Parti Socialiste conduite par Hélène Mandroux ». Deux biais dans cette alternative : une formulation asymétrique et, pour la deuxième étiquette, une incitation grossière à refuser ce choix en Occitanie. La commission des sondages a été saisie. Fera-t-elle mentir sa réputation de blanchissement de sondages louches ? On n’a pas besoin de son jugement pour comprendre la teneur de la manœuvre. Le Figaro, bénéficiaire des financements de sondages par l’Elysée quand Publifact faisait l’interface avec Opinionway, serait-il aujourd’hui le financier des sondages voulus par l’Elysée ? Un tel mélange des genres ne serait après tout qu’une solution apportée au démantèlement du système de manipulation ouvert par le rapport de la Cour des comptes de juillet 2009. Comme le disaient les philosophes du libéralisme, l’intérêt ne saurait mentir. Le Figaro n’est plus tout à fait un organe de presse mais plutôt un organe de parti ; quant au président et à l’UMP, ils n’auront pas beaucoup de « régions de se réjouir » et une occasion d’enlever une région au PS en soutenant indirectement son principal adversaire, ce n’est que de la politique ordinaire. L’actualité des sondages aujourd’hui ? Pas d’information sérieuse sur les électeurs mais une fenêtre sur les intrigues.