Tous les enquêteurs savent combien leur métier est difficile. Qu’il s’agisse de faire du porte-à-porte ou du téléphone, la tâche est ingrate. Elle l’est encore plus devenue avec l’inflation des sondages. Même pour les enquêteurs très professionnalisés et bien formés des organismes de statistiques publics. Pour les entreprises de sondages, la qualité de la « main-d’œuvre » a forcément diminué au rythme des difficultés pour réussir les « contacts ». Les chiffres venus des États-Unis puis de France ont révélé une diminution rapide du rendement qui fait qu’aujourd’hui il faut plus de dix appels téléphoniques pour obtenir un questionnaire rempli. Cela explique le recours à internet et à la rémunération des sondés. Certaines enquêtes font appel au téléphone ou l’utilisent pour recruter les sondés répondant ensuite sur internet à moins qu’il ne s’agisse de cumuler les sondages en ligne et par téléphone. Ces bricolages sont significatifs de la difficulté du métier d’enquêteur. Métier ?
On se souvient des « contes pour dormir » de quelques sondeurs : les enquêteurs recevraient selon eux beaucoup de témoignages de reconnaissance des sondés [1]. Sans doute, quelques personnes du troisième âge heureusement distraites de leur solitude pendant quelques minutes. Pour le reste, de moins en moins de questionnaires passés, des silences au bout du fil, des insultes, et des abandons en cours de route. La plupart des enquêteurs ne tiennent pas très longtemps dans les centres de téléphonie. Un métier précaire parmi d’autres comme l’a étudié Rémy Caveng [2]. Il faut croire que le constat s’est imposé puisque les sondeurs n’osent plus évoquer le bonheur des sondés et des enquêteurs. Ceux-ci devenaient d’ailleurs si difficiles à recruter que le travail a été délocalisé et transporté outremer dans des pays francophones, question d’économie. Solution encore insuffisante faut-il croire puisque la dernière évolution a amené à recruter des prisonniers. Des centres de téléphonie sont aujourd’hui installés dans les prisons, et justifiés par la réinsertion sociale. Etant donné la difficulté du travail, on peut se demander si ce n’est pas plutôt la réinvention du bagne.
NB : Les lecteurs nous excuseront de ne pas nommer les lieux et les entreprises pour ne pas nous exposer une nouvelle fois à des poursuites judiciaires.