On conviendra qu’en l’espèce, à la différence de la politique en général où il suffit d’avoir une opinion informée ou pas, il faut connaître minimalement la constitution pour s’engager dans la controverse juridique. Nous ne parlons pas d’une compétence des spécialistes mais d’une simple connaissance qui peut se traduire par la question : « avez-vous lu la constitution ? ». Bien sûr il y aurait beaucoup de vantardise de sondés portés à surestimer leur connaissance. Mais combien ? Il faudrait bien sûr poser des questions subséquentes sur les dispositions de quelques articles et l’on aurait une vision plus sûre. N’osons aucun jugement a priori. On pourrait aussi demander aux sondés s’ils sont favorables à l’enseignement de la constitution dès l’école puisque tel n’est pas le cas. Il est vrai que le texte constitutionnel n’est guère séduisant et qu’il faut être constitutionnaliste pour en dénicher les bonheurs.
L’épisode actuel d’une dissolution ayant tourné à l’impasse constitutionnelle laisse dubitatif sur la compétence de celui qui a en principe la tâche de veiller à la constitution. Certes Emmanuel Macron n’est pas un analyste électoral ou n’en écoute pas. Sinon, il n’aurait pas dissous avec l’assurance d’un fiasco. Mais pour plonger le pays dans l’impasse, faut-il avoir quelque compétence constitutionnelle ? La dissolution est un fusil à un coup, au moins pour un an, et si le résultat ne convient pas, cela donne une cohabitation ou encore comme ce n’était jamais arrivé, une paralysie. Fâcheux quand la responsabilité doit être imputée à celui qui a en charge « le respect de la constitution » (article 5).
Les constitutionnalistes sont « attendus » sur le terrain des solutions pratiques. Ils peinent manifestement à en trouver. Pas de solution possible avant dix mois sans certitude de résultats viables. Il est difficile de maintenir aussi longtemps une situation provisoire flirtant déjà avec les limites de la légalité. La constitution n’est pas de beaucoup de secours : impossibilité légale de dissoudre à nouveau (article 12), impossibilité arithmétique de la destitution (article 68). A situation exceptionnelle, elle n’offre que réponse exceptionnelle. Bien sûr, il y a cet article 16 prévue pour garantir le fonctionnement régulier des institutions. Utilisé une fois face au putsch de généraux. Personne n’ose le suggérer. Pourtant, des troubles de l’ordre public sont prévisibles si le provisoire durait trop longtemps.
Selon un autre réflexe herméneutique, on va chercher du côté des parallèles historiques. A gauche, on a fatalement exhumé le fantôme de Mac Mahon démissionnaire en 1879 après une dissolution ratée en 1877 et l’avènement d’un Sénat républicain en 1879. On n’a pas encore envisagé un autre épisode plus brutal, longtemps au cœur de la mythologie républicaine. Il y a bien des raisons d’exclure a priori l’hypothèse d’un coup de force présidentiel comme celui du 2 décembre 1851 du premier président de la République Louis Bonaparte, élu au suffrage universel. Après tout, on n’est plus sous la Seconde république où le Président de la République ne pouvait solliciter une deuxième mandat comme Emmanuel Macron aujourd’hui ne peut en solliciter un nouveau. Et tout le monde excluait un coup de force qui eut bien lieu au grand dam des contemporains qui, comme Hugo ou Marx, y virent une farce, tant il était annoncé sans que personne n’y croit vraiment. Ce 18 brumaire inaugura néanmoins un régime autocratique de dix-neuf ans. C’est entendu, on est aujourd’hui mieux assuré de la solidité des valeurs et institutions démocratiques. Il est plus probable que l’on s’oriente vers une solution pragmatique de la Troisième République : la grève des ministères. Faute de candidats pour le poste de chef de gouvernement, une fois toutes les combinaisons épuisées, il faudra changer le Président. Sans garantie qu’une nouvelle élection présidentielle sauve la mise.
Les constitutionnalistes ont beau jeu de mettre l’accent sur l’ambivalence d’une constitution mi présidentielle et mi parlementaire, une ambiguïté toujours pas résolue au gré des opportunismes de toutes tendances. Un Président peut-il choisir les partenaires d’une cohabitation ? Ils ne l’ont pas fait jusqu’à maintenant. Emmanuel Macron si. Il n’a donc pas choisi la lecture parlementaire contrairement à ses prédécesseurs. Sans franchir la ligne rouge de la constitutionnalité ? On n’en est pas sûr et cela laissera des traces. L’opposition classique entre présidentialisme et parlementarisme n’est sans doute pas un prisme suffisant pas plus que la vision d’une constitution comme d’un corps de textes plus ou moins bien ficelés. Toute constitution est un bricolage et la constitution française n’a aucun privilège en la matière.
Le droit vise à apporter des réponses pratiques plus à expliquer. Or non seulement, on ne saurait éviter le désir humain d’explications mais cela pourrait bien être une nécessité vitale. Devant un faillite aussi grave, les analystes sont allés sur le terrain habituel de la psychologie. Quand la conduite d’un acteur est incompréhensible selon les schèmes habituels de la raison, le plus souvent l’intérêt – l’intérêt ne saurait mentir disait Montesquieu – les analystes se plongent dans la personnalité de leur personnage, en appelant éventuellement à la psychanalyse. La psyché d’Emmanuel Macron n’en a pas fini d’être auscultée.
Un sociologue ne se satisfait pas de cette réponse qui individualise les actions et conduites. D’autant moins que les démonstrations manquent à l’appel. On ne récuse pas le diagnostic de narcissisme, ce trait de personnalité si contemporain que Christopher Lasch l’a désigné comme le penchant psychologique majeur de notre temps. Hélas sas possibilité de correction. Il est vrai qu’en l’espèce, les relations qui prévalent autour des chefs empruntent beaucoup aux mécanismes de cour et encouragent le penchant. Car Emmanuel Macron ne s’est pas fourvoyé tout seul. Y a-t-il autour de lui des conseillers aussi éloignés du réel ou si respectueux qu’ils préfèrent se taire ? On saura mieux quand les langues se délieront. La patience des historiens éclaircira certains points même si le secret du pouvoir, l’ancien arcanum imperi de la politique baroque, résiste mal à la société d’information et d’indiscrétion. D’ores et déjà, l’observation des postures, l’analyse des discours éloignent des parallèles historiques. Il ne s’agit pas d’apprenti empereur ou de militaire monarchiste mais de dirigeants d’aujourd’hui qui ont adopté des visions politiques d’aujourd’hui, qui reprennent étrangement les représentations du new management telles qu’elles sont apprises dans les business schools. On nous pardonnera de ne pas aller plus avant, pour le moment, dans l’examen de cette hypothèse.