observatoire des sondages

C... leur opinion

mardi 8 janvier 2013

La seconde moitié de l’année 2012 aurait pu ne pas être clémente pour les animateurs de « C dans l’air » diffusé sur France 5. Ils ont perdu en effet avec la défaite de Nicolas Sarkozy leur sujet de bavardage de prédilection - 54 numéros de l’émission lui ont été consacrés du 2 janvier (« Les 110 jours de Sarko ») au 4 mai 2012 (« Et maintenant Votez ! »). Si la victoire du candidat du PS a un tant soit peu modifié leurs préoccupations, exception faite de la droite en général et de l’UMP en particulier (objet de toutes les attentions lors de l’élection contestée de Jean François Copé à la tête du parti, 7 émissions successives du 19 au 26 novembre, pas d’émission le week end [1]), la nature de leurs propos n’a quant à elle absolument pas changé : des sentences politiques de droite à grands renforts de sondages, quand ils existent, selon la formule : « les Français pensent que », à qui l’on fait dire ce que l’on veut dire, sinon on fait comme si, en bon doxosophe. Qui ira vérifier ? La dernière émission de l’année 2012 consacrée à l’invalidation par le Conseil Constitutionnel de la taxation à 75% de la part des revenus supérieurs à 1 million d’euros [2] n’a donc pas dérogé à la règle, sauf peut-être dans l’exécution de l’habituelle partition des intervenants qui se fréquentent depuis longtemps et se connaissent donc très bien. Peut-être la fatigue après une année entière de commentaires en tout genre. Difficile en tout cas de ne pas céder en cette fin d’année à l’hystérie médiatique suscitée par la colère fiscale de Gérard Depardieu tant elle coïncide avec leur propre opinion sans autre forme de procès.

Extraits :

- Axel de Tarlé (C Dans l’air) : « François Hollande reviendra-t-il sur le camouflet que vient de lui infliger le Conseil Constitutionnel, qui vient de retoquer sa fameuse taxe à 75% sur les hauts salaires ? Le président en tout cas termine l’année au plus bas dans les sondages. Nous avons décidé d’intituler ce soir : Hollande finit mal l’année ».

- Christophe Barbier (L’Express) : « Amateurisme au bout d’un mois on souriait, amateurisme au bout de 3 mois on s’inquiétait, amateurisme au bout de six mois, ben l’opinion évidemment est très sévère ».

L’opinion ? Laquelle ? Selon les sondages ? Lesquels ? Les cotes de popularité ? Car ni la décision du Conseil Constitutionnel, ni « la compétence juridique » du gouvernement n’ont fait l’objet de sondage. On comprendra que l’opinion relative à l’absence supposée de professionnalisme, si légitime ou justifiée soit-elle, est celle de Christophe Barbier et de personne d’autre.

- Axel de Tarlé (C dans l’air) : « On sait très bien que beaucoup reprochent aux taxes d’être trop élevées et de faire fuir les grandes fortunes ».

On appréciera le glissement argumentaire. Rares sont ceux certes qui affichent leur joie face à la fiscalité lorsqu’elle les concerne directement, surtout lorsqu’elle s’alourdit, mais quel est le lien avec la taxe censurée par le Conseil Constitutionnel ? La fiscalité qui pèse sur les plus riches (la réelle préoccupation de C dans l’air à l’évidence) inquièterait beaucoup de gens, angoissés par ailleurs de les voir quitter la France ? Qui sont ces « angoissés » ? Combien sont-ils ? On ne le saura pas, bien évidemment.

- Bruno Jeudy (JDD) : « Les dégâts politiques sont considérables ».

On le sait déjà ? Et si oui comment les évaluer ? Auprès des opposants au gouvernement cela sera sans doute plus facile.

- Pascal Perrineau (Sciences-Po Paris) : « Je crois que pour comprendre le malaise, il faut rajouter un autre ingrédient. C’est la question de l’exil fiscal qui a resurgi au coeur de l’actualité avec l’affaire dite Depardieu. Il y a une partie des Français qui n’appartiennent pas au haut de la pyramide sociale qui sont inquiets, aujourd’hui, de ces effets d’annonce liés autour de mesures de fiscalité qui peuvent être considérées comme confiscatoires et sur les effets que ces mesures peuvent avoir sur la capacité de la France à relancer la machine économique ».

- Axel de Tarlé (C Dans l’air) : « Les Français sont du côté de Depardieu, et suivant qu’ils soient de droite ou de gauche leur regard est-il différent ? »

- Pascal Perinneau (Sciences-Po Paris) : « Bien sûr il y a un clivage gauche-droite, mais on voit qu’une partie de l’électorat de la gauche, de l’électorat qui a fait la majorité de François Hollande, est préoccupée par cette hausse de la pression fiscale toute taxe confondue ».

- Axel de Tarlé (C dans l’air) : « Y compris des départs à l’étranger que cela pourrait susciter ? »

- Pascal Perrineau (Sciences-Po Paris) : « Bien sûr et de l’impact négatif que cela a sur la capacité de l’économie française à redémarrer dans les mois qui viennent ».

- Axel de Tarlé (C dans l’air) : « Donc le gouvernement est allé trop fort dans les impôts ? ».

- Pascal Perrineau (Sciences-Po Paris) : « Oui ! ».

Membre actif de Fondapol, organisation proche de l’UMP, dirigée par un de ses collègues de Sciences-Po Paris, Dominique Reynié, Pascal Perrineau est sans surprise. Ces propos n’en restent pas moins affligeants dans la bouche d’un professeur de science politique. Les impôts ou les taxes rappelons-le sont par définition toujours ou presque considérés comme trop élevés. Au-delà de la question pourtant fondamentale de la compétence des sondés en matière de politique fiscale aucun des sondages publiés récemment y compris les plus manipulatoires d’entre eux (cf. L’Ifop et le Figaro au secours des émigrés fiscaux ; Quand les sondeurs se soucient des pauvres) n’a associé dans un grand tout indifférencié le sort fiscal de l’ensemble de la population, des plus riches jusqu’au moins riches, aucun n’a lié le redémarrage de la croissance économique en France à une fiscalité plus avantageuse pour les riches, et encore moins soutenu la « colère » de Gérard Depardieu. Le procédé rhétorique est tellement grossier que le sondeur, mais également chargé de cours à Sciences-Po-Paris, Brice Teinturier se sent obligé, une fois n’est pas coutume, de corriger le professeur.

- Brice teinturier (Ipsos) : « Sur la pression fiscale incontestablement pour réduire les déficits ce qui était aussi une promesse du candidat Hollande le bouton fiscal qui a été utilisé déplait majoritairement aux Français. Sur la question de l’exil fiscal la condamnation si vous interrogez les Français sur ce point là est très claire. Les Français condamnent l’exil fiscal... Donc les Français sont inquiets bien évidemment de cette pression fiscale, le cas Depardieu est un cas très spécifique, il faut le traiter un peu différemment de l’exil fiscal pour des raisons purement économiques et là on a d’autres indicateurs, qui nous montrent que malgré tout c’est quelque chose que les Français sont loin d’approuver ».

- Christophe Barbier (L’Express) : « Je pense qu’il n’y a pas seulement l’arithmétique fiscale qui a valu ce débat. Il y aussi la manière, la manière dont les Français ont eu l’impression qu’on traitait ceux qui réussissaient, ceux qui entreprenaient, ceux qui gagnaient de l’argent dans ce pays (...) la manière dont un Arnaud Montebourg s’est adressé aux riches notamment au moment de l’affaire Peugeot, la manière dont Jean Marc Ayrault a qualifié de minable Gérard Depardieu et son attitude, tout ça a choqué les Français ».

Les commentaires suscités par les déclarations ou les agissements de certains chefs d’entreprises, ou acteurs-entrepreneurs assimilés à la hussarde à tous les riches ont, à l’évidence, fortement déplu à Christophe Barbier. S’il est libre de se penser comme le porte-parole des Français, on cherchera cependant en vain les sources, même les sondages sur la question font défaut, qui lui permettent de dire que les Français ont été choqués par le traitement (sous-entendu mauvais) que l’on faisait subir aux plus riches. Christophe Barbier confondrait-il ses proches, riches assurément, avec les Français ?

- Bruno Jeudy (JDD) : « C’était toute la campagne on va faire payer les riches, l’anti-sarkozysme et on va faire payer les riches ont été les deux grands arguments de la campagne de François Hollande ».

Quid de l’instauration du bouclier fiscal par Nicolas Sarkozy ? Sa suppression à la fin de son quinquennat est-elle une punition ?

- Brice Teinturier (Ipsos) : « Les mots utilisés ont quand même leur importance. Quand vous dites punitif, pour une partie de la population c’est effectivement une fiscalité punitive et donc de ce point de vue c’est répréhensible et condamnable. N’oublions pas aussi l’autre partie de la population qui y voit de l’équité fiscale et pas quelque chose de punitif. Il y a une large partie de la population pour qui il est assez logique qu’en période de crise, de déficits, de difficultés comme celles que connait le pays que la fiscalité soit particulièrement alourdie pour ceux qui gagnent le plus ».

- Christophe Barbier (L’Express) : « Ce n’est pas ce message là qui est passé, ce message qui a fait condamner la France dans le monde entier. C’est donner l’impression qu’en France on ne pouvait pas réussir ».

La France condamnée dans le monde entier ! Bigre ! Les Français ne suffisaient pas. C’est maintenant le monde, et il se préoccupe du régime fiscal des Français les plus riches ! Au moins, il est une illusion qu’on n’a pas sur la plateau de C dans l’air, c’est le pluralisme.


[1« Je veux être président … » ; « Copé sans Fillon » ; « L’UMP au bord de l’implosion » ; « UMP : cohabitation impossible » ; « UMP : perdant - perdant » ; « Le temps des jusqu’au-boutistes » ; « UMP : parti(e) de poker menteur ».

[2Prononcée le 29 décembre.

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