Les sondeurs n’ont pas perdu de temps pour s’emparer des douze personnes assassinées durant l’attaque du journal Charlie Hebo (7 janvier 2015), de la policière municipale de Montrouge tuée le lendemain, et les transformer en sondages. Le 9 janvier l’Ifop publiait les premiers chiffres (Ifop-Edition du soir-Ouest France). L’assassinat, le même jour, de quatre autres personnes dans un supermarché casher de la Porte de Vincennes par le principal suspect du meurtre de Montrouge, était suivi de 4 nouveaux sondages, un d’OpinionWay (Metronews, 11 janvier) deux de l’Ifop (pour Atlantico, 10 janvier, et Paris Match, 12 janvier) et un d’Odoxa (Le Parisien, 11 janvier). Comme d’habitude c’est en vain qu’on cherchera dans cet empressement opportuniste sur des sujets graves et importants comme la lutte contre terrorisme, l’intégrisme religieux, la liberté d’expression, des questions pertinentes. Autrement dit, ces cinq « sondages » (limités à quelques questions) forment un condensé d’interrogations biaisées. Illustration :
Ifop-Edition du soir
Total élevé : 93%
Total élevé : 95%
De qui se moque-t-on ? Quel peut bien être l’intérêt et la valeur de telles questions et des réponses suscitées quelque heures après de tels drames ? Mêmes remarques pour le sondage OpinionWay (qui n’a pas daigné publié la notice détaillée) de son « enquête », et qui annonce que « 83% des Français ont peur d’autres attentats ». S’il agit d’affirmer que l’Histoire n’est pas finie, alors on peut sans difficulté et sans grand risque de se tromper affirmer qu’il va « encore se passer des choses », sans plus de précision...bien sûr.
Les forces de police et de gendarmerie et les services de renseignements : 87%
François Hollande et le gouvernement : 51%
On aimerait connaître les raisons qui ont poussé le sondeur à distinguer les forces de l’ordre du gouvernement. Si les premières ne sont certainement pas réductibles au second, cette distinction délibérée offre une possibilité supplémentaire à tout opposant d’exprimer son mécontentement général vis-à-vis du gouvernement sans rapport avec la question du terrorisme à propos duquel la compétence des sondés peut en outre être sérieusement mise en doute.
Ifop-Atlantico
Il ne faut pas faire d’amalgame, les musulmans vivent paisiblement en France et seuls des islamistes radicaux représentent une menace ...66%
L’Islam représente une menace...29%
Les propositions ne sont pas symétriques. On oppose une situation objective : les musulmans, très majoritairement, « vivent paisiblement en France » à une opinion. Cela a-t-il un sens ? Pour le commanditaire déclaré, Atlantico, un site d’information très à droite, certainement, comme pour les 66% sondés se disant sympathisants du FN et qui considèrent l’Islam comme une menace.
Ifop-Paris Match
Total : 97%
On peut supposer que tous les sondés n’ont pas la même définition l’’unité nationale”, mais "bigre" c’était la "bonne réponse". Autrement dit la réponse était dans la question. Mais c’est en fait la suivante qui était importante.
Oui : 36%
Non : 63%
De quoi sans doute satisfaire Marine Le Pen. L’Ifop aurait pu éclairer ses sondés avec un petit historique des relations hautement conflictuelles du FN avec la rédaction de Charlie Hebdo, de son désir de voir la peine de mort rétablie, etc. Mais le sondeur ne souhaitait peut-être pas que ses sondés, du moins une partie, comprennent. En somme on demandait à ces derniers d’approuver l’« union nationale » et de se contredire immédiatement après sur le FN. Conclusion : la question est fortement biaisée en faveur du Front national.
Quant à Odoxa, enfin, il a rajouté aux questions convenues et aux réponses « incontournables » sur "le sentiment de colère (61%), de peine (49%) et de solidarité (46%) suscité chez les sondés par les attentats, un petit exercice divinatoire et parier sur le nombre de personnes qui répondraient aux appels à défiler en mémoire des victimes des attentats. Il suffisait pourtant d’attendre quelques heures pour le savoir. Mais on sait que les sondeurs sont des gens pressés qui n’aiment guère attendre surtout s’il s’agit de se faire un peu publicité. Le sondage a été publié en effet dans le Parisien le dimanche 11 janvier au matin quelques heures avant le défilé. Il s’est donc trouvé 81% des sondés pour affirmer qu’ils étaient prêts à se mobiliser, cela n’engageait à rien de le dire. La mobilisation a été forte, le sondeur n’a donc pas été détrompé dans son pronostic, certes guère difficile à établir. Gageons qu’il aura la pudeur lors de ses prochaines déclarations de ne pas s’en gargariser.