Les résultats des européennes ont été relativement cléments avec les marchands d’opinion, malgré quelques variations ça et là. Pas de quoi pavoiser, ce type de scrutin est celui qui se prête le mieux aux prédictions sondagières, il en va tout autrement des législatives. Les sondeurs le savent. Comprennent-ils pour autant qu’à l’impossible nul n’est tenu ? Acceptent-ils l’impossibilité de fabriquer avec leurs outils de production ce qu’ils veulent faire et que prétendre y parvenir relève de la supercherie ? C’est sans doute la seule mission si tant est qu’ils acceptent un jour qu’ils ne mèneront jamais à bon terme.
La répétition est à la base de la pédagogie, dit-on. Pour ceux qui ne le sauraient pas ou auraient perdu la mémoire, la presse se charge à chaque élection de le rappeler. Les législatives et les européennes sont pour le moins dissemblables. A la différence du scrutin européen plurinominal et national (avec certes une tête de liste) le scrutin législatif est uninominal, destiné à pourvoir 577 sièges, un par circonscription, soit autant d’élections locales. Enfin le scrutin européen est proportionnel à un tour, le législatif (en France) est majoritaire à deux tours.
Vaines considérations pour des contrefacteurs intentionnels. Ce que sont les sondeurs qui fabriquent leurs intentions de vote « comme si » législatives et européennes c’était du pareil au même, par exemple sans candidats réels investis et en lice dans chaque circonscription. Les trois sondages Toluna-Harris interactive [1], Opinionway [2], et Elabe (BFMtv, 12 juin 2024) sont donc des contrefaçons. Aggravées par des projections en siège dans le cas d’Harris interactive attribuant entre 235 et 265 au RN, 125 à 155 à Ensemble (« majorité présidentielle ») ou 115 à 145 à la Nupes, sans (attendre) le deuxième tour.
Les sondeurs reconnaissent volontiers qu’il s’agit déjà d’un exercice périlleux pour des sondages de second tour. On aimerait connaitre le détail précis du « bidouillage » (voir ci-dessous), pour en rire plus encore si c’est possible, qui permet à Harris Interactive de supprimer sans coup férir le second tour, et inévitablement les tractations, les coalitions, les désistements, les ralliements, pour résumer les évolutions de l’offre électorale réelle entre le premier et le deuxième tour pour parvenir à ses « fins » (cf. à ce propos Une fumisterie politologique « est-elle une information comme une autre » ?). Les scrutins à deux tours n’ont décidément plus la cote chez les sondeurs qui pratiquent depuis quelques années, avec la bénédiction de la commission des sondages, les hypothèses impossibles (présence et victoire éventuelle d’un candidat au second tour pourtant éliminé au premier de la présidentielle (cf. Hypothèses impossibles : revirement de jurisprudence ; Faux et usages de faux : les hypothèses de second tour ; Campagne et pollution : le « petit jeu » des hypothèses impossibles.).
« On n’arrête pas le progrès » à la sauce marchand d’opinion sans doute. Des experts en « intelligence artificielle » et des sociétés de marketing (le fond de commerce des sondeurs) travaillant déjà à la suppression des sondés [3] on imagine sans peine les prochaines innovations : la suppression du premier tour, puis des élections. Est-ce trop exigé de la presse de comprendre la toxicité de ces (très) mauvaises manières sondagières, a fortiori de lutter contre cette désinformation, en s’abstenant par exemple d’y participer en la diffusant ? Mission(s) impossible(s) ?