En annonçant le 27 avril sur France 2 qu’elle souhaitait conditionner le versement du RSA à l’exercice d’une activité de 15 à 20 heures par semaine [1], la Première ministre indiquait que son gouvernement avait entendu les « Français », contrairement à sa réforme des retraites, ou plus exactement ceux qui prétendent être leurs intermédiaires et porte-parole : les sondeurs. C’est bien sûr l’inverse, ce sont les entreprises de sondage qui avaient fini par entendre les politiques qui prônaient depuis longtemps, bien avant même E. Macron lors de la dernière campagne présidentielle, que pour lutter contre la pauvreté ou œuvrer à la réinsertion des plus pauvres il fallait, en échange des allocations qu’ils perçoivent, qu’ils apportent eux aussi, comme le font tous ceux qui travaillent, leur écot à la bonne marche du pays.
Traduit en langage sondagier la forme est on ne peut plus simple, respectant à la lettre la « bonne vieille » logique binaire du Oui/Non, d’accord/pas d’accord sans autre forme de procès (voir image ci-dessous). Aucun sondeur ne se distingue l’un l’autre. Ni Elabe, ni CSA ni l’Ifop (pour ne citer que les dernières entreprises qui se sont mêlées du RSA) ne renient leur raison d’être : le commerce et le marketing [2]. Cinq mois après la présidentielle, sur le thème plus général mais plus flou de « l’assistanat » et « des solidarités envers ceux qui sont dans le besoin » [3] Ipsos obéit à la même conception. « Les Français » des sondeurs sont majoritairement tous favorables à cette condition. Un acquiescement prévisible.
Sans même présager du résultat que l’on obtiendrait ce faisant, que la faisabilité générale de la mesure envisagée ne soit jamais mentionnée relève quasiment de la forfaiture. Pas la moindre trace d’évocation de son coût en terme d’organisation, de mobilisation des ressources humaines ou financières (plusieurs milliards d’euros d’après les estimations des économistes) [4], et des expert y compris parmi les plus libéraux [5] Aucune traduction même succincte par une rapide référence dans les différents QCM sondagiers. Pourquoi ?
Sans être uniformes ni univoques les articles de presse sérieux (spécialisée ou non) les études académiques, qui traitent des conditions à respecter pour que les politiques publiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale soient autre chose que des objets bureaucratiques sans effet positif tangible, abondent et sont publiés régulièrement. Mais on sait les doxosophes paresseux, ils ne lisent jamais et quand ils lisent, ce n’est guère brillant. On vient encore d’en avoir un aperçu avec l’explication de Norbert Elias d’un sondeur à E. Macron (cf. Décivilisation).
Alors ? Amateurisme ? Au minimum. Parti pris, stigmatisation, voire volonté de nuire, certains pourront le penser. Difficile en effet de pas voir dans ce traitement doxosophique et dans cette paresse une émanation du cliché antédiluvien des pauvres qui ne doivent leur pauvreté qu’à eux-mêmes, sauf bien sûr une minorité. Que s’ils le demeurent c’est par paresse (eux aussi...), qu’ils le veulent bien, qu’il leur « suffirait de traverser la rue » comme dirait E. Macron [6]. Autrement dit leur sortie de la précarité ne couterait rien ou presque à la collectivité s’ils y mettaient du leur. Inutile on le sait aussi de soumettre à la sagacité des photographes amateurs et leur photo du pauvre, parasite indolent et profiteur, la prise de vue autrement plus précise de la Cour des comptes avec ses 3 personnes sur 10 potentiellement éligibles au RSA qui n’en font pas la demande [7]. Car de sagacité ils sont dépourvus. Plutôt que la honte ou la difficulté pour certaines personnes de franchir les étapes administratives requises pour le versement d’une aide ils n’y verraient que la confirmation de leur paresse puisqu’ils ne font même pas l’effort d’aller toucher ce à quoi ils ont le droit.
Le 6 avril 2023 une commission d’enquête parlementaire publiait un rapport accablant sur les politiques publiques menées depuis 30 ans en matière de choix énergétiques, qualifiés entre autres de « divagation politique » et de « lente dérive » [8]. Suite à cette publication l’ancien haut commissaire à l’énergie atomique de 2012 à 2018 Y. Bréchet auditionné par la commission lors de ses travaux déclarait au Figaro :
« Nous sommes en train de mourir de situations ou on demande de répondre par oui ou non à des questions complexes et que la manière d’éviter la complexité c’est dire oui et non en même temps » (11 avril, 2023).
Les pauvres ne mourront certes pas, dans un avenir proche du moins, de la pauvreté doxosophique. Mais que cette fausse monnaie ne leur permette pas d’être moins pauvres, a fortiori de s’enrichir, semble plus que probable.