observatoire des sondages

Rituel incontournable de toute campagne électorale, le débat télévisé est censé permettre aux candidats qui y participent d’exposer les raisons de leurs candidatures. On lui prête également d’autres vertus, comme de leur offrir la possibilité de convaincre des électeurs sinon hostiles du moins indécis, de gagner éventuellement des suffrages supplémentaires et pourquoi pas le scrutin. D’où l’importance si l’on en croit ces candidats mais aussi ceux qui organisent ces confrontations, de les gagner. Rien pourtant de plus futile et inepte que la recherche du gagnant d’un débat télévisé tant le « vainqueur » dépend des affinités politiques et idéologiques que les téléspectateurs partagent avec les débatteurs, pour ne rien dire des commentateurs. Quant à ses effets, s’il y en a, ils sont empiriquement difficiles voire impossibles à déceler au regard du résultat de l’élection, le seul critère qui compte. Non ?

Le recours aux sondages d’évaluation des débats télévisuels (post-tests) ont quasiment disparu. On ne s’en plaindra pas tant ils étaient biaisés, et les rares encore effectués le sont toujours (cf. Oxoda ci-dessous). Les sondeurs, on pouvait l’imaginer, ne sont pourtant pas rester muets. Grâce à la presse séduite il est vrai par leur disponibilité sans pareil, même quand ils n’ont rien à vendre. Cela n’en reste pas moins une « bizarrerie » qui ne trouble pas (ou plus) les journalistes politiques, devenus des confrères en somme.

F. Dabi (Ifop) ou B. Sananès (Elabe) se sont donc retrouvés « tout naturellement » le 24 mai 2024 sur les plateaux de Public Sénat et de France 5 ( C Dans l’air) suite au débat télévisé le plus « médiatisé » de la campagne, opposant la veille, le Premier ministre, pourtant candidat à rien si ce n’est à son maintien à la tête du gouvernement, et J. Bardella, teste liste RN aux élections européennes. Invité, chacun à discourir avec les autres participants (principalement des journalistes) sur le vainqueur [1]. Les mains vides (sans sondage sur le débat) mais la bouche pleine de leur opinion personnelle maquillée en spéculation politologique. Les téléspectateurs habituels de ses émissions qui n’ont pu ou ou voulu les regarder et connaitre ainsi le nom de « l’heureux » gagnant n’ont peut-être néanmoins pas perdu leur temps.

L’inanité de l’exercice ne serait pas complète si Odoxa ne s’était pas chargé d’exercer le métier qui constitue l’essentiel du fond de commerce et du chiffre d’affaires des marchands d’opinion. Le sondeur est catégorique : « Débat Attal-Bardella : les Français donnent l’avantage au président du RN » (Odoxa, Blackbone, le Figaro, 24 mai 2024 [2]. Des militants et sympathisants d’extrême droite n’ont pas manqué d’exprimé leur joie sur les « réseaux sociaux ». Une conclusion et un sondage conformes néanmoins à la réalité des post-tests dans ce domaine évoqué précédemment : mensongère au possible et biaisé jusqu’à l’os. Ce qui n’a pas échappé au Canard enchainé (29 mai 2024).

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109 personnes sur les 991 constituant l’échantillon de sondés affirment avoir regardé le débat en entier...soit 11%. 14% en partie. 5 minutes, 10 minutes, en fond sonore ? On le ne saura jamais. On appréciera à sa juste valeur la pudeur avec le sondeur masque la malhonnêteté de sa mesure : « Exposés au débat » ? Quèsaco ? 63% des 109 sondés soit, 68 personnes, désignent J. Bardella vainqueur. On est donc très loin des 63% de Français qui dans la réalité ont regardé le débat le soir du 23 mai. Et plus loin encore des Français en général. Impossible ne pas avoir plus que des doutes sur le sondeur ? Sauf à considérer qu’il a dès son plus âge fait l’école buissonnière. Pour ne rien dire de la presse qui n’a rien dit, si tant est qu’elle est vue cette « fantaisie » sondagière. Excepté donc Le Canard à qui l’on pourra reprocher toutefois de s’être arrêté en si bon chemin ou de ne pas avoir saisi le biais fondamental, inhérent à ce type de sondage.

Qui regarde un débat politique à la télé ? Tous les Français ? Non bien sûr. Des Français toutes catégories sociales confondues ? L’hypothèse semble raisonnable. De toutes catégories sociales réparties de manière statistiquement représentative de la population française (ou des électeurs) ? Non bien sûr. On le sait depuis longtemps. Le public de ces débats télévisuels est constitué avant tout et principalement des plus politisés ou plus mobilisés des téléspectateurs, qu’ils votent ou non d’ailleurs. Autrement dit des téléspectateurs non représentatifs de la population française dans son ensemble.

C’est assez facile à comprendre. Pourquoi des personnes hostiles ou n’aimant pas J. Bardella (par exemple), qui ne voteront assurément pas pour lui (ils sont majoritaires même les sondages le disent), lui accorderaient-ils du « temps de parole » ? Idem pour le Premier ministre (ils sont manifestement nombreux à le dire y compris dans les sondages). Pourquoi s’imposer un tel désagrément ? Par pure fidélité au principe de la démocratie ? Soyons sérieux. Ils regardent d’autres choses ou font autre chose.

Une semaine après le débat Odoxa, pour Public Sénat publiait un sondage d’intention de vote censé confirmer son diagnostic (28 mai 2024). Comme d’habitude le « gain » annoncé pour le justifier en plus d’être très faible (deux points, inférieur à la marge d’incertitude) n’était accompagné d’aucune preuve tangible et a fortiori empirique pouvant l’expliquer. Cette oscillation constituant une preuve par elle-même. La pensée magique par excellence. Un grand classique certes, mais toujours une imposture.

Si le score de la liste RN s’avère au final supérieur à ceux annoncés par les derniers sondages d’intention de vote l’illusion perdurera, dans le cas inverse tout sera oublié, pour mieux recommencer.


[1Le titre des émissions ne pouvait être plus clair, Public Sénat : « Attal-Bardella qui a remporté le débat » ; C dans l’air : « Attal Bardella un gagnant...un perdant ».

[2Les résultats ont été publiés peu de temps avant les deux émissions.

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