observatoire des sondages

Jaffré fait du Jaffré

vendredi 28 juin 2024

Les sondeurs ont en commun avec les politiques, que jamais ils ne « décrochent » comme on le dit à propos de toxicomanes. Rien ne les dissuade ou les décourage, ni leurs échecs, ni dans le « meilleur » des cas les faiblesses de l’âge. Quant à la « couleur politique » ou idéologique si elle a pu éventuellement jouer comme facteur discriminant, la mutation de la profession vers le « consulting » a effacé tout scrupule. Relégué depuis 1995 au rang de commentateur en dernier recours de la vie publique, J. Jaffré a pu profiter du stress médiatique qui a suivi la dissolution de l’Assemblée nationale pour être moins discret, et anticiper une victoire « absolue » de l’extrême droite.

S’agissait-il de montrer que le temps qui passe n’a pas de prise sur lui ? Qu’il est en dépit de certaines déconvenues toujours capable de voir dans le futur ? Qu’il a donc toute sa place dans le concert quasi-interminable, tant il a débuté il y a longtemps, des doxosophes en place en faveur de l’extrême droite ? Que la presse aime toujours inviter ceux qui trompent ou se trompent ? Quatre hypothèses non exclusives raisonnables.

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Rien ne nous permet de dire si J. Jaffré "travaille" ou non pour l’extrême droite comme J. Sainte Marie-Marie ou son ancien "protégé" à la Sofres, S. Rozès [1]. On peut néanmoins sans se tromper rappeler qu’en 1995, alors directeur des études politiques de la Sofres il prédisait la victoire d’E. Balladur. Donc a fortiori la défaite de J. Chirac également candidat :

« Il est encore trop tôt pour le dire, mais si M. Balladur est élu le 8 mai prochain, on pourra dire que l’élection présidentielle était jouée avant même que d’être écrite » (Le Monde, 12 janvier 1995).

On connait la suite. Le vainqueur a d’autant moins gouté la prophétie que le sondeur était également au même moment conseiller du Premier ministre candidat. J. Chirac obtint la tête du sondeur en "dédommagement" de cette singulière façon d’agir. J. Jaffré est certes resté à la Sofres mais a perdu la direction des études, et quitté in fine, par la petite porte l’entreprise deux ans années plus tard, pour se mettre à son compte. Il a, sinon disparu, été beaucoup moins médiatique.

20 ans plus tard après la victoire "surprise" de B. Netanyahou aux législatives israéliennes, à rebours de tous les prédictions sondagières annonçant sa défaite, il révélait une audacieuse conception du rôle des sondages dans leur propre défaillance. Il avait eu le temps de "réfléchir" à la présidentielle de 1995 :

- « l’électeur se sert du sondage dans la dernière période pour ajuster son vote : c’est à dire que l’information selon laquelle Benjamin Netanyahou était dans la plus grande difficulté a pesé sur le comportement d’électeurs tentés d’aller vers d’autres partis extrêmes pour revenir vers Netanyahou  » (Le Canard Enchaîné, 25 mars 2015).

Manière de dire que les sondages, qu’on les considère (à tort selon la profession) ou à raison, comme des prédictions ne peuvent jamais se tromper. Les sondeurs peuvent donc prédire sans rougir. Notamment en manipulant les électeurs comme le suggère, sans doute involontairement, J. Jaffré [2].

9 ans encore plus tard la "morale de l’histoire" que se racontent J. Jaffré - et les sondeurs - sur leur métier est néanmoins toujours la même, quel que son dénouement :

- Si l’extrême droite et en particulier le RN échouait à obtenir une majorité (relative ou absolue) à l’Assemblée nationale, ce serait grâce aux sondeurs et donc un peu grâce à lui.

- Si elle remporte la majorité (relative ou absolue), on entend déjà leur : nous vous l’avions bien dit. On imagine également en guise de supplément et non des moindres de belles perspectives commerciales.


[1Jérôme Sainte-Marie, entre autres, ex-BVA, ex-Dga de CSA avant son rachat par V. Bolloré est maintenant le sondeur attitré du RN. Stéphane Rozès ex-Sofres du temps de J. Jaffré, ex-Dg de CSA, ne cache plus ses contacts avec l’extrême droite et notamment E. Zemmour, qu’il justifie ainsi : "J’ai travaillé pour seize formations, je ne refuse mes analyses qu’à ceux qui contestent le bien-fondé de la République, nous explique-t-il. Ce fut jadis le cas pour Jean-Marie Le Pen ». Pour lui, « ni Marine Le Pen ni Zemmour ne sont racistes ou antirépublicains »…, Le Monde, 2 mars 2022.

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