L’audience du procès qui m’est intenté pour diffamation aura lieu le 18 décembre 2014 devant le tribunal correctionnel de Paris après la plainte déposée par M. Christian Latouche et la société Fiducial et ma mise en examen, automatique dans les affaires de presse. En cause, un article publié par l’Observatoire des sondages le 17 mars 2012, La deuxième mort de l’Ifop. Voici le passage incriminé :
« Le rolling poll du 16 mars, réalisé par l’Ifop et Fiducial est donc un sondage payé par l’entreprise de la présidente du Medef et un grand groupe d’expertise comptable dirigé lui par Christian Latouche dont les affinités idéologiques avec l’extrême droite sont bien connues. Spécialiste du Conseil juridique et financier aux entreprises, le groupe Fiducial paye également les sondages d’Opinionway, dont la dernière livraison annonce Nicolas Sarkozy à égalité au premier tour de la présidentielle avec François Hollande avec 27,5 % d’intentions de vote (Opinionway-Fiducial-Le Figaro-LCI, 16 mars 2012). »
J’aurais ainsi porté « atteinte à l’honneur et à la considération de Christian Latouche et de la société Fiducial ». L’article incriminé concernait l’Ifop, les sondages en ligne et l’absence de régulation qui permet à n’importe quelle entreprise de financer des sondages d’opinion. Or, derrière l’entreprise, il y a un patron et celui-ci a probablement des convictions politiques. D’extrême droite mais pourquoi pas du centre ? Plusieurs jugements font jurisprudence qui reconnaissent la légitimité de la désignation - classique en science politique - d’extrême droite. M. Christian Latouche a été d’ailleurs débouté face à Rue 89 pour cette même raison [1]. De quoi s’agit-il ?
Quitte à citer un long passage, la « partie civile » aurait pu aller au bout des deux lignes qui suivaient : « Le Sénat avait voté en octobre 2011 une proposition de loi interdisant ces sondages en ligne rémunérés. L’Elysée a mis son veto. On savait pourquoi. Aujourd’hui, on voit aussi pourquoi ». Seul l’Observatoire des sondages a publié cette information. Chacun a bien compris qu’il ne s’agit pas d’une atteinte à l’honneur d’un homme et d’une entreprise par une « diffusion mondiale », selon la plainte de la partie civile, mais d’une poursuite baillon. La deuxième mort de l’Ifop établissait en effet un lien avec l’affaire des sondages de l’Elysée. Quand la police judiciaire me contacta, je crus d’autant plus à une mauvaise blague que se tenait la semaine suivante, le 3 octobre 2012, l’audience en appel du procès qui m’était intenté par le conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, M. Patrick Buisson. Ce dernier fut débouté et condamné aux dépens [2]. Pour se lancer dans ces opérations d’intimidation, il faut en effet avoir les moyens dont ne manque pas M. Christian Latouche, une des cent plus grosses fortunes de France, et la société Fiducial, première société de conseil juridique en France.
Ainsi, n’importe quel prétexte peut servir à mettre en examen n’importe quel gêneur, scientifique ou journaliste. Encore faut-il savoir que les entreprises de presse protègent financièrement leurs « employés ». Pas l’université. Une poursuite baillon a une incidence collective en rappelant à tous les scientifiques qu’il est des terrains où ils ne devraient pas s’aventurer. Il est insuffisant de gagner un procès comme ce sera le cas, je l’espère, à l’issue de l’audience du 18 décembre 2014. Il faut encore qu’une réforme législative interdise d’entraver judiciairement le travail scientifique et la liberté d’expression ?