Depuis quelques années, les sondages annoncent régulièrement le FN en tête des intentions de vote. On en oublierait que pendant longtemps - l’élection présidentielle de 2002 en étant le sommet - les scores de Jean-Marie Le Pen ont été largement sous estimés [1]. Il est vrai qu’il fallait appliquer un coefficient correcteur de plus de 2 pour obtenir un résultat approchant le score du FN aux élections. Sachant que ce redressement s’effectue en comparant le souvenir de vote avec les scores de l’élection précédente, il faut croire que la dissimulation de l’intention de vote était si grande que les sondeurs répugnaient à corriger autant. On le comprend car cela ne donnait pas une bonne idée de l’exactitude de l’instrument. Les sondeurs étaient plus à l’aise avec toutes les autres questions, celles où il n’y avait pas de correction car aucune possibilité de les faire par une comparaison avec le réel comme dans les sondages électoraux. Inquiétant mais si l’on n’y voit rien... Les sondeurs avaient pris la mesure de l’importance nécessaire du redressement après quelques déboires. Ces écarts énormes entre intentions et votes (demeurés secrets à l’époque) appartiennent-ils au passé ? Il ne suffit pas de mettre le FN en tête.
Dans les sondages actuels, les sondeurs n’ont pas besoin d’opérer des redressements énormes tant les sondés déclarent plus massivement leur intention de voter FN. Deux changements sont en effet intervenus : la banalisation du FN et le changement de technologie d’enquête. Les intentions de vote honteuses pour le FN ont reculé à mesure que le FN s’est banalisé, un effet de son ancienneté et de ses scores en hausse mais aussi un effet de sa stratégie de dédiabolisation. D’autre part la plupart des sondages s’effectuent en ligne et le biais serait plutôt celui de la sur-déclaration pour des échantillons spontanés. Les membres des panels qui choisissent de répondre favorisent les opinions extrêmes au contraire des enquêtes par téléphone. Les sondeurs ont d’ailleurs dû introduire une rémunération dans leurs motivations à répondre pour éviter un raz de marée d’électeurs passionnés, en colère ou énervés. En corrigeant ensuite selon des procédés opaques.
Depuis lors, informée par les sondages, la presse n’a cessé de promettre un destin électoral de plus en plus favorable au FN au gré des nouvelles élections, même si au vu des succès effectifs, les résultats n’ont pas été à la hauteur des pronostics.
En ayant mis un terme au prétexte du secret industriel qui permettait aux sondeurs de cacher leur clefs de redressement, la loi sur la modernisation de la politique (25 avril 2016), a permis de connaître les redressements. Non point que tous les sondeurs s’y conforment. En fait seul l’un d’eux, Opinionway, respecte la loi, mais confirme les informations dont on disposait par ailleurs et par la bande. Foin de redressements colossaux où il fallait multiplier par deux ou plus. Les redressements des sondages ont atteint néanmoins un maximum de un quart. Ainsi tel sondage publié le 15 février indiquant 27 % des intentions de vote au FN a été mesuré à 22 % en chiffres bruts (cf. notice détaillée ci-dessous publiée sur le site de la commission des sondages [2]). Le FN arrivant en 2e position dans cette dernière mesure passait en tête avec le redressement. Sans doute une information plus intéressante pour les médias français.
Comment mesurer la pertinence de ces redressements modestes au regard du passé ? Il faut donc faire confiance. Il va de soi que la belle convergence des chiffres corrigés des différents sondeurs est censée rassurer. Ils donnent actuellement tous le même niveau à Marine Le Pen 26-27% des suffrages [3]On saura plus tard ce qu’il en était ou on ne le saura pas tant il est difficile d’apprécier l’effet performatif des sondages. On n’ignore pas que les bruits de victoire, de percée ou de progrès sont appréciés par les candidats qui sont en ce moment très occupés à mettre en valeur leurs bons résultats ou à minimiser leurs reculs (forcément provisoires).
En somme la récurrente présence de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle repose sur la confiance. On n’ira pas soutenir qu’elle est à la différence de son père légèrement surévaluée mais rien ne permet de dire le contraire non plus. Et de toute façon, l’échéance n’est pas encore pour demain.