On connaissait cette figure du débat politique sans cesse recommencée selon laquelle les sondages trompent quand ils ne sont pas bons. C’est la critique du mauvais joueur. Nicolas Sarkozy en avait joué un épisode caricatural lorsque, sur le plateau de France 2 au soir du premier tour de l’élection présidentielle de 1995, il avait lancé une grave accusation : "Depuis un mois et notamment l’institut qui travaille avec France Télévision, BVA, essaie de raconter aux Français que l’élection est jouée, qu’il y aura des écarts formidables. On a tympanisé les Français avec cela. Je poserais le problème et j’estime que nous serons un grand nombre à poser le problème de la présence des sondages si près d’une élection. Quel que soit l’intérêt ou non, un problème est posé. La première victime ce soir, ce sont les instituts de sondages qui ont été, dans leur immense majorité complètement balayés, dans leurs prévisions" (France 2, 23 avril 1995) [1].
Le sondeur cible en était alors Pierre Giacometti, alors directeur exécutif de BVA avant de passer à Ipsos, et d’être un conseiller de Nicolas Sarkozy en 2007 et de fonder sa société Giacometti-Péron & Associés, en contrat avec l’Elysée. Nicolas Sarkozy avait bien pris la mesure du rôle des sondages dans une campagne pour initier un système illégal de financement des sondages révélé par la Cour des comptes en juillet 2009. Comment faut-il alors apprécier la nouvelle charge de Nicolas Sarkozy contre les sondages ? Dans un meeting à Dijon le 27 avril 2012, il mettait en cause le quotidien Le Monde sans le nommer (Le Monde 9 avril 2012), qui avait publié les résultats d’intentions de vote sur un sous-échantillon, sans même l’indiquer, manifestement insuffisant, sans que l’article mentionne le caractère non représentatif de cet échantillon : « Tout est construit, bâti sur les châteaux de sable. L’autre jour, avant le premier tour à la une d’un grand quotidien du soir : Mme Le Pen première chez les moins de 25 ans. Une semaine après, à la page 18, deux lignes : ’on s’excuse - il fallait avoir des bonnes lunettes - ce sondage était un faux’. Le faux a fait la une, le démenti a fait deux lignes en page 18. Et les Français m’ont placé en tête chez les électeurs de moins de vingt-cinq ans [après le premier tour, TNS Sofres lui donne effectivement 26%, 25% à Hollande et 23% à Le Pen]. Tout sera bon, tout sera bon, toutes les méthodes, tout est employé ! ». La commission des sondages ayant pour une fois réagi, Le Monde avait en effet publié l’observation de celle-ci. Discrètement, dans un bas de page. L’Observatoire des sondages ayant lui-même posé la question auparavant – que fait la commission des sondages ? (cf. Jeunes en vague) – et remarqué la discrétion de la précision publiée dans Le Monde (Il n’est pas trop tard pour bien faire ?), on se demande si Nicolas Sarkozy ne prend pas ses arguments sur notre site.
De cette charge contre les sondages, que faut-il comprendre ? Faut-il déplorer le mauvais joueur en mauvaise posture à une semaine du deuxième tour ? Faut-il seulement constater le cynisme ordinaire de l’entrepreneur politique en campagne faisant feu de tout bois ? Faut-il relever le culot de celui qui n’a toujours pas donné les factures de sondages de l’Elysée ? Faut-il apprécier l’expertise du connaisseur ? Car non seulement Nicolas Sarkozy avait bien mis en place un système de manipulation par des sondages payés indirectement par l’Elysée mais des sondages avaient été délibérément truqués comme celui qui avait été effectué par Opinionway sur sa popularité et publié par Le Figaro trois jours avant les élections européennes de 2009 [2]. Si Nicolas Sarkozy prétend connaître les sondages pour en critiquer certains, il doit alors employer les mots exacts. Or, le sondage CSA sur les intentions de vote des jeunes n’est pas un « faux ». Un sondage a bien été réalisé et le reproche s’adresse à l’exploitation d’un sous-échantillon insuffisant utilisé comme s’il était représentatif. Cette faute a été si souvent révélée ici même qu’on peut à la fois se féliciter qu’elle ait pour une fois retenu l’attention, mais déplorer qu’un candidat ne le relève que lorsqu’il s’en considère une victime. Un « faux », ce serait un sondage non effectué et dont on aurait inventé les résultats. Si l’on se réfère à la propriété industrielle, ce serait une contrefaçon, soit un sondage dont la griffe serait usurpée. En la matière, les sondages de l’Elysée payés par l’Elysée par l’intermédiaire de Publifact, la société de Patrick Buisson, dont les noms n’apparaissaient pas sur les fiches techniques étaient des « faux ». Il est vrai que l’infraction (à la loi de 1977) ayant été maintes fois repérée, elle n’a jamais été sanctionnée par la commission des sondages. Enfin, le Sénat ayant adopté une proposition de loi proposant de définir le terme même de sondages pour le réserver aux enquêtes sur échantillon représentatif, il est malvenu à celui qui a opposé son veto à l’adoption de cette loi par l’Assemblée nationale, soit Nicolas Sarkozy, de se plaindre des sondages.