La prolifération des sondages ne caractérise plus seulement les périodes électorales. Après une pause estivale, les salles de rédaction sont destinataires d’un nombre impressionnant de communiqués de presse livrant leurs pourcentages. Ils ne sont heureusement pas tous publiés. Les sujets sont d’intérêt très inégal voire sans intérêt aucun. Et certains s’apparentent à un jeu. Il n’y a plus d’élection… Qu’à cela ne tienne, on organise une pseudo élection. Par exemple refaire l’élection présidentielle six mois après pour conclure que N. Sarkozy et F. Hollande seraient à égalité si la présidentielle avait lieu maintenant (Ifop-JDD, 14 octobre 2012).
Comment cette prolifération est-elle possible ? En fait de sondages, il s’agit généralement d’une question posée dans le cadre d’une enquête omnibus. Cela ne coûte pas grand-chose et les informations du monde étant sans doute rares, cela fait un papier tout fait. Crise du journalisme aidant, l’information est alors répercutée. Mais cette nouvelle étape de la prolifération est surtout permise par la généralisation des sondages en ligne. Sur les panels des entreprises de sondages, il y a toujours quelques milliers d’internautes pour répondre à des questions dépourvues de sens mais alléchés par les gains qu’on leur fait miroiter. Il n’y a jamais eu de démonstration de la fiabilité de ces échantillons spontanés. Ce bruit médiatique n’aurait-il aucune importance ? On est même un peu surpris devant la logique infernale d’une prolifération qui nourrit l’hostilité aux sondages. Ainsi, sur cette élection présidentielle « rejouée », les réactions d’internautes sont souvent ironiques :
« Dommage de gaspiller de l’argent pour faire des sondages inutiles »
« Mais oui et si Pompidou était vivant il ferait jeu égal avec Giscard »
« On se croirait à « on refait le match, lol » [1]
Pourtant il est une autre moitié des internautes pour conforter leurs préjugés et se réjouir de la baisse des sondages du président actuel, de se targuer d’avoir eu raison de voter pour son adversaire ou encore pour mettre dos-à-dos les deux finalistes en faveur d’une candidate qui l’emporterait aujourd’hui. Rien que de très banal.
Il n’est pas sûr que ce soit beaucoup de bruit pour rien. Sur la base des sondages en ligne, sollicitant des électeurs volontaires même s’ils sont sélectionnés ensuite avec des techniques inavouables, on recrute surtout des électeurs motivés politiquement, ou joueurs, en tout cas désœuvrés. Aussi sophistiqué soit-il, ce bricolage n’est pas digne du débat politique. Les sénateurs avaient proposé de l’interdire pour les sondages à caractère politique (et non commerciaux). Leur prolifération récente confirme amplement cette nécessité. En attendant, il sera intéressant d’observer cette dérive inéluctable puisque aucun sondeur ne peut stopper la course folle de la concurrence, comme il sera intéressant d’observer si la prolifération a des effets politiques. Les sondages peuvent-ils perturber les mécanismes institutionnels comme des critiques s’en sont inquiétés il y a longtemps ? Des simulacres d’élection ne sont pas des élections, les chiffres se suivent sans s’accumuler, les cotes de popularité négatives se répéter, cela ne change pas un calendrier électoral. Cela ne change-t-il rien ? L’efficacité des sondages consiste à agir sur les croyances. Les dirigeants politiques ne seraient-il jamais affectés par de mauvais sondages ? La professionnalisation politique a accru leur sensibilité voire leur crédulité. L’invocation de mauvais sondages par des journalistes en pleine crise professionnelle leur sera au moins agaçante. Et les citoyens, même sceptiques, risquent de se laisser impressionner. Il est d’ores et déjà clair qu’une sorte de guérilla sondagière s’est engagée contre le pouvoir à coup de cotes de popularité. Dans la compréhension des sondages, pris comme système et non dans leur singularité, il ne faut en effet jamais oublier, même si la formule est brutale, que les sondages servent ceux qui les font et surtout les paient.