observatoire des sondages

Odoxa : un nouvel OpinionWay

lundi 6 avril 2015

Fondé en août 2014 par d’anciens dirigeants de BVA, Odoxa entre sur le marché concurrentiel des sondages. Segment low cost, le nouveau sondeur enchaîne les enquêtes biaisées. De quoi susciter la jalousie de l’actuel détenteur du titre, très officieux il est vrai.

Certes, tout le monde ne dispose pas du parrainage d’une chaine de télé et d’un quotidien (I>télé et Le Parisien). Les efforts entrepris par le président d’Odoxa (Gaël Sliman) pour "élargir encore la présence médiatique de l’Institut" (à l’époque BVA, cf. A quoi servent les doxosophes ?) ne se relâchent pas. On retrouve donc sans surprise les mêmes commanditaires de trois "enquêtes" publiées à la fin de la semaine dernière : l’une encourageant le gouvernement à accentuer sa politique de droite (Le Parisien, I>télé, 3 avril 2015), l’autre prévenant implicitement Nicolas Sarkozy que son seul adversaire à droite n’est pas Marine Le Pen mais Alain Juppé (I>télé, 3 avril 2015), et la dernière enfin cherchant à dissuader l’équipe au pouvoir d’intégrer des ministres écologistes (Le Parisien 5 avril 2015).

D’un point de vue strictement technique le saucissonnage d’enquêtes fourre-tout en autant de "sous- sondages" qu’il y a de questions est toujours pratiqué. Cela permet de multiplier les publications, les citations dans la presse et les apparitions sur les plateaux-télé. L’ordre et l’hétérogénéité des questions déterminent la teneur des réponses mais faire baisser les coûts de production est plus important que veiller à la cohérence d’une enquête aussi exempte d’intérêt soit-elle. Avec de tels "principes", Odoxa peut faire cohabiter dans un même questionnaire, comme il l’a fait récemment, l’ablation des ovaires d’Angélina Jolie, par crainte d’un cancer, et le soutien de Brad Pitt, son mari (Le Parisien le 29 mars 2015), avec la situation économique de la France et la soi-disant “nécessité” d’un remaniement ministériel après les départementales, autre sous-partie publiée par BFM Business et Challenges le 2 avril 2015. Les trois sondages du week-end de Pâques ont subi le même traitement : ils n’en forment en réalité qu’un seul.

Nous nous intéressons ici principalement à la première tranche relative à "l’orientation politique du gouvernement". Les intentions de vote à la future primaire de l’UMP (deuxième tranche), qui voit selon la formule éculée "Alain Juppé et Nicolas Sarkozy au coude à coude" (cf. Reuters, le Figaro ou Challenges, 3 avril 2015), invitent à la compassion pour les journalistes. Quel rude métier en effet que d’être contraint de commenter les intentions de vote, juste avant un week-end de Pâques et un an et demi avant le scrutin, de 137 sondés "absolument certains" de participer au scrutin. Encore le sondeur précise-t-il sans malice que la moitié d’entre eux risquaient malgré tout de ne pas y participer. Quant à la troisième tranche à savoir la "requête" adressée indirectement à François Hollande et Manuel Valls de s’abstenir de nommer des ministres écologistes, elle a permis aux opposants de tous bord de se défouler un peu.

"Sondage : les réformes ne font pas peur aux Français", titre Le Parisien (3 avril 2015). Du nouveau… On croyait qu’ils étaient allergiques aux réformes. Il faut donc changer d’avis comme l’avait déjà suggéré Les Echos sur la foi des résultats du même sondeur deux semaines plus tôt : "Les Français croient à la poursuite des réformes" (Odoxa-FTI Consulting, Les Echos et Radio Classique, 17 mars 2015). Pourtant, Challenges assure le contraire au même moment tout en se réjouissant sur la foi d’un sondage Ifop-JDD qu’ils n’y sont pas hostiles : "Les Français, conservateurs et étatistes par définition, refusent le principe même de la réforme (...) Le sondage IFOP-JDD prouve pourtant l’inverse" (Challenges, 5 avril 2015). Allez savoir… De quelles réformes s’agit-il ?

Odoxa a fait un "effort" en alourdissant son questionnaire de quelques propositions de changement absentes du précédant publié par les Echos [1]. En fait de réformes sont proposées celles des organisations patronales : les 35 heures, qu’il faut "assouplir" ou supprimer, les licenciement qu’il faut faciliter. Mais il faut croire que les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur des attentes des commanditaires puisque que le sondeur dans son commentaire leur faire dire si ce n’est le contraire de ce qu’ils "disent" du moins ce qu’ils ne disent pas.

"Seule une minorité de Français (27%) souhaite que le gouvernement « mène une politique "plus à gauche""déclare Gaël Sliman au Parisien, qui souligne dans la notice détaillée du sondage le refus d’une "injection d’une politique de la demande dans la politique de l’offre actuellement mise en place". Sachant que rien dans "l’enquête" ne fait la moindre allusion à des politiques de l’offre ou de la demande, on peut se demander ce que les sondés y ont mis.

Le sondeur persiste : "Les Français approuvent bon nombre de nouvelles réformes "libérales" testées". ("L’orientation de la politique du gouvernement", Odoxa, Le Parisien, I>télé, 3 avril 2015, p. 5)

On aimerait savoir également en quoi la possibilité de déroger aux 35 heures en cas - précision importante - d’accord avec les organisations syndicales (73% d’opinions favorables) est une disposition typique d’une politique "libérale" que les Français approuvent. D’autant que les deux propositions d’inspiration clairement "libérales" (suppression des 35 heures et la facilité accrue de licenciement) restent minoritaires. Cet étalon de mesure sommaire - majorité vs minorité - n’est jamais utilisé que lorsqu’il est favorable au sondeur et à des commanditaires. Que veulent-ils ? : «  L’accélération des réformes libérales serait soutenue par les Français" ; "Les Français ne demandent pas une « gauchisation » mais une accélération des réformes « libérales »" (Ibid, p 4).

Odoxa semble décidément en délicatesse avec les mathématiques. Il ne s’agit pas cette fois de flagrant délit de mauvaises additions (cf. Addendum aux calculs d’Odoxa : petite leçon de maths) mais d’amalgame : le sondeur mêle en effet les 34% favorables à une politique de droite ("moins à gauche" dit avec pudeur le sondeur) aux 37% favorables au statu quo c’est à dire, sans inflexion ni à gauche ni à droite. Cela fait une majorité. Tant pis si les sondés de "l’entre-deux" sont souvent heureux de masquer leur ignorance, quand ce n’est pas leur lassitude ou leur désintérêt face aux questions posées. Il y a plusieurs décennies, les sondeurs excusaient leurs erreurs en assurant qu’il s’agissait de défauts de jeunesse de la technologie, que leurs progrès permettraient de corriger dans l’avenir. L’avenir est là. Encore une illusion dissipée.


[1Ce qu’il ne l’avait pas empêché de trouver des sondés pour répondre majoritairement « oui au changement » mais sans savoir lequel. On peut au moins reconnaitre au sondeur sa capacité à dénicher des sondés peu « curieux », mais il est vrai rémunérés.

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