observatoire des sondages

“On l’avait vu venir” : la nouvelle fable des sondeurs français

lundi 21 novembre 2016

Voilà c’est fait. Présenté depuis des mois par les sondeurs comme le vainqueur du premier tour de la primaire de la droite Alain juppé a réuni dimanche 20 novembre 2016 (selon les derniers résultats paru 28,5 % des suffrages) devançant nettement Nicolas Sarkozy désigné comme son principal adversaire (20,6%). Chacun sait pourtant que... c’est François Fillon avec 44,1% des voix qui a remporté le premier tour. La solitude des sondeurs français (après celle des britanniques, des grecs, des brésiliens, etc.) aura donc été de courte durée, à peine plus d’une semaine après le naufrage du 8 novembre ils ont rejoint leurs homologues américains. On se souvient que les sondeurs français avaient certifié que pareille mésaventure ne pouvait leur arriver : ils savaient eux naviguer sur les intentions de vote.

Si les sondeurs américains ont adopté un profil bas, reconnaissant implicitement leur défaillance (comment pouvait-il en être autrement ?), les sondeurs français ont, sans surprise, immédiatement refusé l’évidence. Non ils ne se sont pas trompés ont-ils déclaré de concert sur France 2 alors que la publication des résultats donnait déjà une victoire large à un outsider.

- “La dynamique de François Fillon, elle avait été mesurée et on l’avait même donné en tête dans notre dernière enquête” (Brice Teinturier, Ipsos, France 2, 20 novembre 2016).

Un sondage pour les sauver tous ?

Depuis le 21 avril 2002 le coup du sondage de dernière minute est entré dans le répertoire des sondeurs français pour nier leurs erreurs. Mais qu’en est-il exactement de cette mesure ultime censée leur sauver la mise. Un sondage Ipos-Sopra-Steria effectué à la va-vite le 18 novembre, publié le soir même et en catimini sur le site du sondeur et du Monde créditant François Fillon de 30% d’intention contre 29 % pour Alain Juppé. Méfiance ou lassitude de la presse pourtant avide de sensation à 48h à peine du scrutin, difficile à dire, quoiqu’il en soit même relayée par l’AFP cette énième version des “écarts se resserrent” a eu moins d’échos. Plus problématique, la commission des sondages semble s’être tenue à l’écart une fois plus de cette enquête, en violation de la loi, puisque la notice détaillée n’a été publiée qu’entre samedi après midi et dimanche après-midi, soit quelques heures avant le scrutin ou pendant le scrutin. S’il s’agissait d’ajouter un parfum d’amateurisme à la précipitation on ne s’y prendrait pas autrement.

A entendre le directeur d’Ipsos les 30% du vendredi préfiguraient les 44,1% du dimanche. Au vu de l’écart et du laps de temps écoulé, on imagine mal que le sondeur croit à ce qu’il dit. Aux oubliettes l’argument de la marge d’erreur que les sondeurs ont intégré opportunément à leur plaidoirie depuis quelques années. Le 1% d’écart entre Alain Juppé et François Fillon se situe en effet en deçà de la marge d’incertitude indiquée par Ipsos 3.2%. Autrement dit le score de François Fillon est compris entre 26,8 et 33,2% (celui d’Alain Juppé 25,8% et 32.2%) le donner comme candidat de tête est mensonger. De là à voir une "dynamique" qui emporte 14 points plus loin en un jour. Dynamique ? Un explication circulaire : “la dynamique est encore plus forte c’est le propre d’une dynamique” (Brice Teinturier, Ipsos, France 2, 20 novembre 2016). Les croyants ne sont pas toujours ceux qu’on croit. De l’aveu même du sondeur c’était la première fois qu’il assistait de toute sa carrière à une telle “dynamique”.

- Laurent Delahousse (France 2) : "Comment se fait-il que vous n’ayez pas senti avant l’heure cette poussée pour François Fillon parce qu’elle n’existait pas ?"

- Brice Teinturier : "non, vous ne pouvez pas dire ça alors que nos dernières enquêtes justement ont permis de voir, de mesurer et de dire qu’il y avait une dynamique de François fillon et qu’il était même en tête au 1er tour".

- Laurent Delahousse : "Ok vous avez vu venir effectivement ce mouvement, mais il y eu une progression... pas une progression une rupture...".

- Brice Teinturier : "...fulgurante".

- Laurent Delahousse : "vous avez déjà vu ça dans votre carrière politique ?"

- Brice Teinturier : "à ce point jamais."

Traduction : Les sondeurs ne l’avaient pas vu venir. Un aveu ? Presque.

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