observatoire des sondages

Présidentielle chilienne : le vote troublé

lundi 27 novembre 2017

Depuis le 19 novembre 2017, date du premier tour de l’élection de présidentielle au Chili, les noms des principaux sondeurs du pays figurent en bonne place au palmarès mondial des fiascos de l’industrie sondagière.

Si aucun des candidats en lice n’a été épargné, l’ampleur des écarts entre les promesses des sondages et la réalité est particulièrement frappante sur les trois premiers du scrutin : dans l’ordre Sebastián Piñera, Alejandro Guillier et Beatriz Sánchez. De quoi nourrir les soupçons légitimes “d’interférence” des enquêtes d’intentions de vote dans le processus démocratique.

- “Mon impression est que Sebastián Piñera va gagner dès le premier tour et que s’il ne gagne pas au premier tour, il totalisera plus 45% des suffrages” déclarait 15 jours avant le scrutin, dans une interview au quotidien El Mostrador, Marta Lagos commentatrice “incontournable” de la vie politique chilienne et directrice de la société de sondage Mori, (2 novembre 2017). Moins bavards que leur consœur, le Cadem et le CEP (Centro de Estudios Públicos), deux des sondeurs les plus importants du pays, se "contentaient" de prédictions moins impressionnistes mais au final tout aussi fantaisistes (cf. tableau ci-dessous).

CADEM [1] CEP [2] Résultats effectifs [3]
Sebastián Piñera (Vamos Chile, coalition de quatre partis classés à droite)
45%
44%
36,64 %
Alejandro Guillier (Nueva Mayoria, coalition de partis classés à gauche)
23%
20%
22,70%
Beatriz Sánchez (Frente Amplio, coalition de partis classés à gauche)
14%
9%
20,27%

Eliminée de justesse, Beatriz Sánchez que les sondages ont pourtant toujours donnée largement distancée au premier tour, n’a guère gouté l’échec de ces prophéties. "Je me demande si nous ne serions pas au second tour si ces enquêtes avaient dit la vérité" (Libération, 20 novembre 2017). Une accusation à peine voilée à l’encontre des sondages au motif d’avoir trompé les électeurs en leur donnant de fausses informations.

Si les sondeurs ont cessé de prêcher l’inanité absolue de leurs enquêtes – avec les multiples fiascos de ces dernières années ce déni de réalité devenait intenable – on peut douter qu’ils acceptent leur responsabilité et moins encore qu’ils avouent leur culpabilité. Quid alors du “vote utile” auquel ils se réfèrent de plus en plus souvent dans leurs explications des votes (sans trop entrer dans les détails il est vrai). L’influence des sondages sur le vote demeure certes difficile à chiffrer précisément. On peine cependant à imaginer par quelle opération du "Saint Esprit" ces “informations comme les autres” – comme se plaisent à les appeler leurs promoteurs – ne viendraient pas "alimenter" les stratégies de vote d’électeurs, et leur croyances sur les chances qu’ils attribuent aux candidats d’être élus.

Quoiqu’il en soit on appréciera la perspicacité de la dirigeante de Mori qui dénonçait le lendemain du scrutin dans un quotidien français cette fois "les graves failles méthodologiques des sondeurs" (Libération, 20 novembre 2017). Et d’ajouter : "On ne connaît pas bien les électeurs de Beatriz Sánchez, ils n’apparaissaient pas dans les enquêtes". Quelle étrange façon de "penser". Comment pourrait-on les connaitre si les enquêtes sont mal faites ? Au moins connait-on un peu mieux les sondeurs chiliens...

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