observatoire des sondages

Réduction des impôts et des services publics : les sondages en renfort

mardi 10 février 2015

Les appels à la baisse des impôts et à la réduction des services publics à coup d’enquêtes biaisées sont toujours autant appréciés. Le baromètre de TNS Sofrès payé par l’Institut Delouvrier vient rejoindre la liste déjà longue des push polls (cf. Les Echos, 27 janvier 2015). S’il n’est jamais très difficile, surtout en temps de crise d’obtenir de sondés qu’ils se prononcent pour moins d’impôts, jugés toujours trop lourds, la tâche est encore plus aisée à coup d’échantillon et de questionnaire bricolés. On en viendrait presque à s’étonner tant certains procédés utilisés ici sont grossiers.

Si l’on met de côté son mode administration (internet) et la rémunération des sondés qui entament déjà sérieusement la valeur de l’enquête, les « premiers » biais affectent la taille et la nature de l’échantillon. Le sondeur y intègre des mineurs de 15 ans et plus. Que les « usagers des services publics » comptent parmi eux des mineurs est une évidence, mais il s’agit là d’un argument bien maigre pour justifier leur présence parmi les autres sondés, électeurs potentiels, pour n’évoquer que cet élément de distorsion, et ne rien dire des connaissances fiscales de ces mineurs, domaine qui ne les concerne pas encore.

Le sondeur a divisé les services publics soumis à l’appréciation de ses internautes en 9 « secteurs » : Police et gendarmerie, Logement, Justice, Education Nationale, etc. Sur les secteur eux-mêmes, aucun détail n’est fourni. On peut donc s’interroger sur le contenu et les contours de certains d’entre eux, comme celui de l’Environnement ou du Logement. Que vaut en effet l’évaluation d’une institution ou d’un service public à la « silhouette » peu identifiable ? Chacun des 9 secteurs a été affecté à une sous-population de sondés issue d’un échantillon total de 2301 personnes. Sous-population à laquelle des questions spécifiques ont été posées. Là aussi, le bât blesse. Les motifs de distinction entre les « usagers » sont loin d’être aussi pertinents pour les secteurs autres que celui l’Education Nationale (distinction entre les étudiants et parents d’élèves scolarisés et ceux qui ne le sont pas). Tout le monde est-il également concerné ? A quel titre ? On aimerait connaitre les éléments discriminants entre les usagers de la « Police et la gendarmerie », de « l’Environnement », du « Logement », des « Impôts », de la « Sécurité sociale », etc. Et comme si cela ne suffisait pas, les effectifs de ces sous-populations ne sont pas identiques. Celui des sondés sur « la Police et la gendarmerie » s’élève 1044 personnes, quand ceux de « la Justice », « du Logement », de « l’Emploi et de la lutte contre le chômage », etc, s’élèvent seulement à (respectivement) 442, 451, et 641 personnes, soit des valeurs ne respectant pas les standards élémentaires de la pertinence statistique. Pourquoi ? On ne le saura pas non plus. Avec la persistance du chômage de masse le secteur « Emploi » n’avait sans doute pas besoin de ce « petit coup de pouce » pour se distinguer des autres services publics en termes d’insatisfaction des « usagers » et des « Français » en général.

Sur le questionnaire à proprement parler, conçu à l’image des enquêtes de produits de consommation courante, et pour ne rien dire de l’omniscience attribuée aux sondés, le niveau de généralité est tel que toutes les interprétations, « polysémie oblige », sont permises. Agréger des réponses à des questions fourre-tout aux significations multiples et leur attribuer comme le fait le sondeur un sens unique (majoritaire), est un coup de force ou un tour de passe-passe... au choix. Les résultats demeurent donc sans « grand intérêt ».

Illustration

- Question : quelle est votre opinion concernant l’action l’Etat dans chacun des domaines suivants (posée à l’ensemble de l’échantillon) :
* La Justice
* La Santé Publique
* l’Education Nationale...
etc.

Dans d’autres circonstances, on aurait demandé une dissertation. Presque forcément superficielle. Ici, on se contentera d’un QCM. Divine simplification.

- Question (secteur Justice) : Globalement, en tant qu’usager, diriez-­vous que vous avez été très satisfait, plutôt satisfait, plutôt mécontent ou très mécontent de l’action de la Justice dans les affaires pour lesquelles vous avez été en contact avec elle ?

Rien sur le profil de ces 442 « usagers » de la Justice. Gageons que ceux qui ont été condamnés (s’il y en a parmi les sondés) sont tendanciellement moins satisfaits que les autres. Quoi qu’il en soit ceux qui chercheraient à connaitre la ou les raisons des opinions avancées en seront pour leur frais. Ils devront se contenter de la mauvaise opinion de l’ensemble des sondés (33%) et de relative bonne opinion des « usagers » (55%).

- Question (secteur Impôts) : quelle est votre opinion concernant la fiscalité et la collecte des impôts ? (posée à l’ensemble de l’échantillon)

28% de l’ensemble des sondés sont satisfaits. Personne ne s’acquitte de ses impôts de gaité de cœur.

- Question (secteur des Impôts) : Globalement, en tant qu’usager, diriez-­vous que vous avez été très satisfait, plutôt satisfait, plutôt mécontent ou très mécontent de l’action de la direction générale des impôts et/ou du Trésor Public dans les affaires pour lesquelles vous avez été en contact avec elle ?

78% des « usagers » des Impôts sont satisfaits. là encore en l’absence de précision (des clients d’HSBC parmi les sondés ?), on peut imaginer que tout ou partie d’entre eux ne se prononcent pas tant sur le montant de leurs impôts que sur les facilités qu’ils ont pu obtenir auprès de l’administration fiscale, une question sans rapport avec celle posée à l’ensemble de l’échantillon.

Le point d’orgue du baromètre est un modèle de rusticité manipulatoire.

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(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

- Question s’il vous fallait choisir entre les deux options suivantes, laquelle choisiriez-­vous :
1 - Diminuer le niveau des impôts et des prélèvements, quitte à réduire les prestations fournies par les services publics
2- Améliorer les prestations fournies par les services publics quitte à augmenter le niveau des impôts et des prélèvements

Entre la peste et le choléra que choisiriez-vous ? Ni l’un ni l’autre. Mais cette option bien sûr n’était pas proposée par le sondeur, puisqu’il s’agit pour son commanditaire officiel de clamer que les « Français » consentent à une réduction des services publics en contrepartie d’une baisse de leurs impôts : « La tendance se confirme les Français souhaitent une diminution des impôts même au détriment des prestations fournies », comprendre en quantité mais aussi en qualité. On peut imaginer, sans trop de risque, que si la question avait été plus précise du type : accepteriez-vous, que le meurtrier de votre femme, ou le violeur de votre fille ne soit pas arrêtée faute de moyens judiciaires nécessaires ?, la réponse aurait été tout autre. Le sondeur aura beau jeu de nous annoncer que la Police est le seul service public qu’une majorité de sondés (66%) ne veut pas voir se dégrader. L’Etat réduit à sa plus simple expression ou presque : Police/Justice. Et encore, car la « Justice » peut voir ses moyens amoindris et faire des économies selon 53% des sondés.

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(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Les fonctionnaires, appelés ici « membres de la fonction publique », pourront se consoler en apprenant que leurs salaires, avantages professionnels (sans précision) et leurs effectifs ne « gênent » pas (plus ?) les sondés de TNS Sofrès (4% et 2%). Le sondeur aura essayé. Il aura cependant « réussi » à arracher à ces derniers leur assentiment sur une diminution de certaines aides sociales, en se gardant bien de préciser lesquelles (Diminuer le montant de certaines aides sociales : 54%). Quant au sempiternel refrain sur les moyens de diminuer les dépenses publiques il est accompagné du non moins sempiternel couplet sur leur « amélioration », autrement dit : faire plus et mieux avec... moins.

Le résultat n’a pas échappé au quotidien économique les Echos, qui a obtenu la primeur de la publication et titre : « Une majorité de Français pour une diminution de certaines aides sociales » (cf. Les Echos, ibid). On peut penser que les subventions publiques qui permettent à l’Institut Delouvrier de payer un tel baromètre ne pas font partie, pour lui et son sondeur, de certaines de ces « aides sociales ».

Finalement, un sondage destiné à justifier la réduction des dépenses publiques payé avec de l’argent public. Voilà qui ne manque pas de sel.

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