observatoire des sondages

Sondage pousse au crime : l’Ifop et le Figaro plébiscitent Nicolas Sarkozy, la presse compte les points

lundi 9 août 2010

Le pupitre sur lequel étaient disposées les feuilles du discours de Nicolas Sarkozy prononcé le vendredi 30 juillet 2010 à la préfecture de Grenoble n’était pas encore rangé que déjà l’Ifop organisait un sondage sur les mesures présidentielles pour lutter contre l’insécurité annoncées à cette occasion, auxquelles s’ajoutaient celles proposées par le ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux et Eric Ciotti député en charge des questions de sécurité à l’UMP. Les résultats de cette enquête, effectuée entre le 3 et le 5 août 2010, publiés dans le Figaro (5 août 2010) ont valeur de plébiscite, ce dont se félicite le journal qui titre : « Les annonces de l’UMP sont plébiscitées » et, réjouissance supplémentaire pour ce quotidien : « les idées de l’UMP sont approuvées aussi à gauche » [1]. Devant un tel enchaînement certaines mauvaises langues ne manqueront pas d’y voir un acte prémédité du pouvoir actuel, ou une étape d’un « média planning » gouvernemental comme disent les professionnels du marketing. Aucune confirmation de cette hypothèse ne pourra être apportée par la lecture de la fiche technique du sondage, qui indique comme seul commanditaire Le Figaro. Le président de la République et son gouvernement suscitent suffisamment de sympathies au sein du quotidien et de l’Ifop pour qu’ils leur soient épargnés d’envoyer systématiquement des instructions afin d’obtenir sondages et articles favorables.

La presse a commenté et plus rarement critiqué. Cette vigilance inhabituelle procède plus de l’accord massif des sondés en faveur de mesures - que les médias dans leur majorité avaient commenté et critiqué dans les jours précédents - que d’une interrogation sérieuse sur la validité des productions des entreprises de sondage et les préjugés qui fondent leur activité. La rare presse critique a cherché principalement ce qui techniquement, au sein du sondage pouvait expliquer de tels scores et un tel « désaveu » d’elle-même.

Le sondage de l’Ifop sur la sécurité n’est tout simplement pas sérieux. C’est un banal et malhonnête push poll comme il en fleurit de plus en plus dans la politique française. Il a été réalisé en ligne, et nul ne peut ignorer maintenant que les sondages par internet sont rémunérés (les sondeurs ne s’en cachent même pas) afin de lutter contre un phénomène longtemps nié, lui, par les sondeurs français, mais reconnu par la très conciliante commission des sondages : le taux de plus en plus important des refus de répondre aux sondages (à ne pas confondre avec le « fameux » NSP, Ne sais pas). Pourtant seul le site d’informations Rue89 a abordé la question, en la posant au directeur adjoint du département opinion de l’Ifop. Frédéric Micheau assure que les internautes sondés n’ont reçu aucune gratification en contrepartie de leur réponse [2]. Le sondeur oublie de préciser que l’Ifop collabore depuis plusieurs années, pour ses sondages en ligne, avec la société Maximiles (cf. Marketing Magazine n° 54, 1 novembre 2000), spécialisée dans la publicité et le marketing, qui lui fournit les coordonnées électroniques d’internautes, via ses bases données de plusieurs dizaines de milliers d’adresses, qu’elle rémunère en fonction de leurs participations à des sondages [3].

Par ailleurs, comme nous nous obstinons ici à le répéter, les échantillons des sondages par internet ne sont pas représentatifs. Comme d’habitude, peu d’articles de presse ont relevé ce défaut. N’en déplaise à Mediapart, qui assimile sondages téléphoniques et sondages par internet en leur attribuant le même biais potentiel (« exclusion de ce ceux qui ne disposent pas de ligne fixe ou d’accès à d’internet en été », et en hiver ?), reprenant à sa manière un argument classique de sondeurs et de « politologues » sondomaniaques, si nombre de foyers français disposent d’un ordinateur et d’une connexion internet, le taux d’équipement est encore loin d’être comparable à celui du téléphone, mais surtout les usages d’internet sont loin d’être aussi uniformément répandus parmi la population. Par exemple, les personnes âgées peuvent très bien disposer d’un ordinateur et d’une connexion internet et n’y avoir recours que de manière très limitée, certainement moins en tout cas que le téléphone. Est-il nécessaire d’évoquer les personnes à faibles revenus ? Sauf à croire qu’il n’en existe pas ou presque ou que leur « opinion » ne compte pas. Quoi qu’il en soit, c’est avant tout parce que les échantillons des sondages par internet sont spontanés, c’est-à-dire constitués a posteriori, en fonction des répondants, a fortiori les plus motivés ou intéressés à répondre (et si en plus ils sont payés !), que leur représentativité est faussée. Si à l’évidence tout le monde reconnaît que répondre à un questionnaire par téléphone n’est pas comparable en pratique au remplissage d’un questionnaire sur un ordinateur, peu nombreux sont encore ceux qui tirent toutes les conséquences de ces « petites » différences sur les sondés, sur leurs dispositions à répondre, sur leurs comportement et leurs attitudes. Sans doute convient-il de « rappeler » à tous les autres et notamment aux sondeurs, à la presse en général, et aux professionnels de la politique, que les conditions dans lesquelles les relations d’enquête, donc les sondages, se nouent et s’exercent ont une influence sur les résultats [4]. Le sondage CSA-l’Humanité effectué lui par téléphone, publié le jour suivant (6 août 2010), mais quasiment passé sous silence, donne d’ailleurs des scores moins prononcés. Si les deux mesures soumises aux sondés (sept pour l’Ifop) demeurent approuvées par une majorité d’entre eux, le clivage gauche-droite « réapparaît » puisqu’une majorité des personnes interrogées se déclarant sympathisant de gauche désapprouve ces mesures [5]. Sans doute faut-il voir dans ces écarts entre les deux sondages une illustration d’une inhibition de la part de certains sondés de CSA liée au mode d’administration téléphonique du sondage.

Il reste à examiner les questions posées. L’Ifop a choisi la « sobriété », puisque son enquête se résume à la plus simple expression : l’approbation ou de la désapprobation des mesures gouvernementales. Le sondage CSA-L’Humanité apparaît en comparaison on ne peut plus baroque puisque en plus de la simple expression d’accord ou de désaccord avec deux des mesures gouvernementales envisagées, il est demandé aux sondés si celles-ci sont à même d’être efficaces pour lutter contre l’insécurité. Si une majorité approuve les mesures, une majorité considère également que celles-ci seront inefficaces contre l’insécurité. Approuver une mesure que l’on sait par ailleurs inefficace. Curieux ? Pour la question relative au démantèlement des camps illégaux des Roms posée dans les deux sondages cette apparente contradiction procède tout simplement d’un biais caractérisé, relevé pourtant par aucun des commentateurs : la réponse était dans la question. Difficile en effet d’imaginer une majorité de réponses négatives à une proposition visant à faire cesser une situation illégale [6]. On pourrait même être surpris malgré les écarts significatifs entre les deux études (79% pour l’Ifop, 62% pour CSA) que le pourcentage à cette réponse ne soit pas égale à 100%, certains sondés font peut-être passer le respect de la légalité après certaines autres considérations, qui sait ?

Cette question mise à part, la presse, y compris celle qui s’est essayée à la critique méthodologique, a laissé passer, tant l’emprise des sondages est forte, la dernière et peut-être la seule question qui méritait à cette occasion d’être posée : Existe-t-il des sujets pour lesquels il serait préférable, pour ne pas dire raisonnable, c’est-à-dire pour raison garder, de ne pas utiliser la technique des sondages, telle qu’elle est pratiquée du moins par les sondeurs ? Car il est, c’est une évidence tant les exemples abondent des « sujets qui fâchent », des sujets « pousse au crime », qui donnent quasiment à tous les coups lieux à l’expression de ressentiments, de haines. Il est donc par conséquent des « sondages qui fâchent », des « sondages pousse au crime » qui plus est lorsqu’ils ont été précédés d’événements, de faits divers sordides (meurtres, viols d’enfants...), le spectre de la peine de mort refait alors son apparition, même si les sondeurs n’osent plus reposer la question, pour l’instant, mais ils en ont d’autres en réserve [7]. Il n’est qu’à lire certaines réactions au sondage de l’Ifop, des sondeurs bien évidemment, pour lesquels leurs enquêtes restent des instruments de connaissances, mais aussi le représentant SNJ du Figaro embarrassé par la polémique, voire même des opposants à la politique gouvernementale actuelle indignés certes par le recours à ce sondage, mais indisposés par les résultats [8], pour comprendre que cette remise en question des sondages « pousse au crime » est un sujet qui pourrait fâcher.

Est-il vraiment si aberrant de penser que les présupposés méthodologiques et les pratiques actuelles des sociétés de publicité et de marketing qui permettent de « savoir » que les « Français préfèrent » majoritairement les yaourts avec des vrais morceaux de fruit dedans, et par voie de conséquence qui permettent d’orienter, en partie du moins, la production de l’industrie laitière, ne soient pas « adaptés » à l’élaboration des politiques pénales si celles-ci s’appuyaient, par exemple, sur les préférences des Français en matière de castration chimique des délinquants, ou en matière de déchéance de la nationalité française ? On pourrait objecter que la réponse à cette question est dans la question elle-même ? L’escroquerie est patente mais qui s’en soucie ?


[1Extraits : 79% des personnes interrogées sont favorables au démantèlement des camps illégaux de Roms (60% chez les sympathisants de la gauche), 80% sont favorables au retrait de la nationalité française aux ressortissants d’origine étrangère coupables de polygamie ou d’incitation à l’excision (62% chez les sympathisants de la gauche) ; 70% sont favorables au retrait de la nationalité française pour les délinquants d’origine étrangère en cas d’atteinte à la vie d’un policier ou d’un gendarme (50% chez les sympathisants de la gauche).

[3Cf. le site maximiles.com.

[5Extrait : 62% des personnes interrogées estiment nécessaire le démantèlement des camps illégaux de Roms, 45% parmi les sympathisants de gauche.

[6La réponse de Frédéric Micheau à cette objection donne un aperçu du cynisme ou du degré de compréhension des principes méthodologiques de base en sciences sociales : « si on n’avait pas précisé qu’ils sont illégaux, on aurait introduit un biais ».

[7Cf. sondage CSA-Le Parisien du 6 juin 2010 sur l’armement de la police municipale, réalisé quelques jours après le meurtre du policière municipale, 56% des « Français » considèrent la généralisation du port d’arme à l’ensemble de la police municipale comme une bonne chose. Sondage BVA-Canal plus du 8 avril 2010, les Français et la violence scolaire réalisé là encore quelques jours après des agressions perpétrées dans un établissement scolaire. 70% des "Français estiment que les violences dans les établissements scolaires ont pour origine le manque d’autorité parentale.

[8Par exemple les élus socialistes.

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