observatoire des sondages

Sondages contre la démocratie

vendredi 29 mars 2019

S’ils se plaisent à se penser comme une émanation des régimes démocratiques, alors qu’en Chine ou en Russie les sondages sont monnaie courante, les sondeurs aiment depuis plusieurs années remettre en question au gré des événements, l’existence de la démocratie pas de leur existence [1]. De l’humour de sondeur un peu schizophrène.

Éditeur récemment d’un roman contant l’ascension d’un général à la tête de la France sur fond de terrorisme et de troubles publics graves, Jean-Claude Lattès et Odoxa se sont entendu pour monter « vite fait » un QCM reprenant cette éventualité. Une manière de donner plus de vraisemblance et de crédibilité à cette fiction politique et faciliter ainsi sa promotion ? C’est probable. L’actualité fournit pourtant nombre d’opportunités pour fabriquer ce type de sondage. Une pierre deux coups en somme.

Le sondeur a néanmoins patienté plus d’un mois pour le rendre public [2], de fait quelques jours après la tuerie de Christchurch et le saccage d’une partie des Champs-Elysées lors d’une manifestation des « gilets jaunes ». Les principaux résultats sont sans surprise : 55% des sondés d’Odoxa sont favorables à une restriction des libertés pour lutter contre le terrorisme, quand 50% sont pour qu’un militaire dirige temporairement la France. « Prudent » le sondeur ne précise ni l’ampleur des restrictions ni les libertés visées. Il ne fixe « bien sûr » pas non plus de limite de temps au pouvoir militaire. Les sondés se sont-ils vu offrir cette fois en guise compensation le livre ? Le sondeur ne le dit pas.

Interrogé par BFM-TV sur les résultats d’un sondage Elabe réalisé quelques jours après les attentats de Carcassonne et de Trèbes en mars 2018, J-M Fauvergue, ex-chef du Raid devenu député LREM, déclarait en substance qu’ils n’apportaient aucun renseignement si ce n’est sur la conjoncture qui entourait sa publication. Autrement dit en ces temps troublés il n’est guère surprenant que le trouble gagne des pans entiers de la population. Une réponse qui n’a manifestement pas plu à la chaine d’info en continu partenaire du sondeur. Elle ne figurait plus en effet dans le résumé de l’interview proposé à la rediffusion.

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Période troublée en effet que celle où s’expriment des volontés pour le moins antagonistes. D’autant plus confuse que rien n’interdit de penser que ses volontés émanent, en partie, des mêmes personnes.

- D’un côté, notamment avec les « gilets jaunes », « plus de démocratie » en élargissant les possibilités de recours au référendum (cf. le RIC), ou rien n’est considéré a priori comme tabou selon ses plus fervents défenseurs. Les sondeurs les ont d’ailleurs bien entendu, ils en ont profité pour remettre une énième fois sur le tapis le rétablissement pour la peine de mort [3].

- Et de l’autre une limitation des libertés publiques, au gré des humeurs et des circonstances, pour lutter contre le terrorisme, pour faire « passer des réformes présentées comme essentielles au pays » [4], etc. Un référendum d’initiative citoyenne pour interdire le référendum initiative citoyenne ? Voilà qui serait un hommage singulier à Eugène Ionesco ou Samuel Beckett.

La colère on le dit et on le sait, a fortiori la haine, n’est pas bonne conseillère. Pas plus en politique qu’ailleurs.


[1Cf. par exemple Ifop, Ouest France, 16 octobre 2018 ; Ifop, Atlantico, 2 octobre 2015, voir De belles questions pour promouvoir la dictature.

[2Le Point, BFM TV, 27 mars 2019, et de nombreux autres titres de presse en écho.

[3Odoxa, BFM Business, Challenges, Avia, 7 février 2019. 78 % des sondés approuvent l’idée que les référendums puissent s’appliquer aux sujets fiscaux et 70 % aux sujets régaliens (justice, peine de mort, sécurité routière).

[4Cf. Baromètre de la confiance en politique Opinionway-Cevipof.

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