On souscrit à la critique du sociologue français et plus généralement à la qualité de son œuvre. Nombre de scientifiques l’ont fait avant les sondeurs. D’autant plus que pour ces derniers, Bourdieu, c’est l’adversaire. Mais un adversaire prestigieux et commode. Comme en témoigne une fois encore la série d’entretiens avec des sondeurs « installés », intitulée « Têtes de sondages » publiée entre fin décembre 2021 et début janvier 2022 par l’Opinion [1].
On pourrait penser qu’il s’agit d’une ignorance tactique. On a plutôt affaire à une ignorance paresseuse car en ne citant que Bourdieu, à propos d’un article tiré d’une conférence prononcée en 1972, toujours le même, mineur dans l’œuvre du sociologue, publié en 1973 [2], ils ne citent jamais l’un des pionniers de la critique des enquêtes d’opinion : le sociologue américain Herbert Blumer. Autant dire que pour eux son « coup d’éclat », une démolition méthodique des enquêtes d’opinion, lors du congrès annuel de l’American Sociological Association de décembre 1947 (quelques mois avant le fiasco sondagier de la présidentielle américaine) n’existe pas [3].
Comment expliquer ces « oublis » et le fait qu’ils ne citent jamais non plus les critiques postérieures à celles des deux sociologues ? Ils n’ont manifestement pas le temps de lire, voire peut-être même l’envie. Mais il y a aussi une autre stratégie, complémentaire, une attitude délibérée, quelque peu mesquine mais bien connue des médias : le cimetière. Ils dénient l’existence de toute critique nouvelle. Un indice supplémentaire que les sondeurs n’évoluent pas dans le monde scientifique en respectant ses règles.