observatoire des sondages

Lettre ouverte à la présidente de la commission des sondages (OpinionGate 20)

jeudi 10 juin 2010

Depuis la publication du rapport de la Cour des comptes le 16 juillet 2009, le maelstrom semble avoir accouché d’une souris : une demande de commission d’enquête parlementaire a été étouffée en deux temps, la presse a ajouté quelques révélations, sans autre résultat que des plaintes des accusés, l’Observatoire des sondages a mis en évidence les violations de la loi. Une interview nous a même valu une assignation pour diffamation publique de la part d’un conseiller en sondages du président de la République.

Les gaspillages de l’Elysée sont l’affaire des citoyens et l’on connaît la réponse quasi automatique qui légitime l’indifférence et la démission : avant, c’était pareil. En l’occurrence, c’est faux mais... Quant au non respect du code des marchés publics, les autorités se sont accordées le pardon. Cela a toujours été pareil, conclut encore le citoyen revenu de tout. Ce réalisme a des allures d’impuissance et de résignation.

Si le prince est au-dessus des lois, on pouvait attendre une réaction aux violations de la loi de 1977. Ce sont les sondeurs qui sont en cause et il existe une commission des sondages chargée de les contrôler. La commission des sondages a expliqué qu’elle manquait de moyens. Nous avons fait le travail sans plus de moyens. Nous avons donc envoyé une lettre à sa présidente pour préciser les infractions et demander si elle comptait utiliser ses compétences légales.


Le 4 juin 2010

Madame la Présidente

L’Observatoire des sondages, par la plume de mon collaborateur M. Richard Brousse, a interrogé la commission sur les sondages effectués par l’entreprise OpinionWay à deux reprises.

A propos d’un sondage OpinionWay sur la popularité des chefs d’Etat Européens, publié dans le Figaro le 30 mai 2009 (« Sondage : une majorité d’Européens ont une bonne opinion de Sarkozy »), soit une semaine avant le scrutin européen, le secrétaire permanent de la commission des sondages nous a répondu que « le sondage OpinionWay intitulé Image de Nicolas Sarkozy et de la présidence française de l’UE auprès des Britanniques, Italiens, Allemands et Espagnols n’entre pas dans le champ de compétence de la commission » (courriel du 26 janvier 2010). Cette réponse paraît doublement étonnante au regard de la loi du 19 juillet 1977 qui précise que la commission contrôle les sondages « ayant un rapport direct ou indirect avec l’élection » (article 1er). En outre, les précisions données par la commission des sondages à l’interprétation du texte législatif ne laissent aucun doute : « A un moment éloigné d’une telle échéance (électorale), un sondage portant sur l’opinion du public relativement à une question d’ordre politique, ou destiné à faire apparaître le jugement de l’opinion sur une personnalité politique – les côtes de popularité – n’entre pas en règle générale dans le champ de la loi. Il en va autrement à l’approche d’un scrutin ». Or, le président de la République était manifestement engagé dans ces élections dont il a dit avant le scrutin : « Si on gagne, ce sera la première victoire d’un parti au gouvernement à l’occasion d’une élection européenne » (27 mai 2009)

Nous avons par ailleurs demandé les fiches techniques déposées par OpinionWay pour des vagues de son enquête baptisée Politoscope comprenant des questions sur les intentions de vote, soit les vagues du 28 février 2008, 6 mars 2008, 4 septembre 2008 et 13 novembre 2008 (Politoscope OpinionWay, Le Figaro, LCI) ; Selon le secrétaire permanent, ces sondages ont bien donné lieu au dépôt d’une fiche technique conformément à la loi de la part du sondeur OpinionWay (courriel du 7 avril 2010).

L’affaire des sondages de l’Elysée révélée par la Cour des comptes le 16 juillet 2009 a suscité une réponse de M. Patrick Buisson, dirigeant de Publifact, selon laquelle il était le véritable réalisateur de ces enquêtes comme auteur des questions, analyste des tris croisés et des verbatims. Or, la loi du 19 juillet 1977 précise la responsabilité du sondeur : « La publication et la diffusion de tout sondage tel que défini à l’article 1er doivent être accompagnées des indications suivantes, établies sous la responsabilité de l’organisme qui l’a réalisé : le nom de l’organisme ayant réalisé le sondage ; le nom et la qualité de l’acheteur du sondage, etc. ». Si la société Publifact a réalisé les sondages concernés, il ne semble pas qu’elle ait accompli les formalités de déclaration préalable et souscrit aux engagements prévus à l’article 7 de la loi. Et elle n’a pu alors adresser à la commission des sondages la fiche technique obligatoire.

Dans tous les cas, la responsabilité d’Opinionway semble en cause. Si cette entreprise n’est pas le réalisateur, elle n’aurait pas dû déclarer les sondages qu’elle n’effectuait pas et si elle en est bien le réalisateur réel, elle aurait dû indiquer le commanditaire réel des sondages, soit Publifact et non Le Figaro et LCI. L’entreprise OpinionWay a alors commis une déclaration mensongère selon l’article 12 de la loi de 1977 qui renvoie au code électoral : « Seront punis des peines portées à l’article L. 90-1 du code électoral : Ceux qui auront publié ou diffusé un sondage, tel que défini à l’article 1er, qui ne serait pas assorti de l’une ou l’autre des indications prévues à l’article 2 ci-dessus ; ceux qui auront laissé publier ou diffuser un sondage, tel que défini à l’article 2 assorties d’indications présentant un caractère mensonger ».

Selon le commentaire de la commission relatif aux régimes de sanctions (articles 8 et 9 de la loi de 1977), « la commission des sondages n’a pas de pouvoir propre d’énoncé des sanctions, par exemple pécuniaires, à l’encontre des journaux ou des instituts pour des manquements à la réglementation des sondages, elle dispose toutefois d’une possibilité d’imposer des mises au point à la presse et peut saisir le garde des Sceaux ». Sachant que vous accordez suffisamment d’importance à ce rôle de la commission pour en conclure que « cela lui a suffi à asseoir une autorité incontestée », l’absence de réaction à la publication du rapport de la Cour des comptes du 16 juillet 2009 m’amène à vous poser deux questions :

- pourquoi la commission des sondages n’a-t-elle pas enquêté et signalé les anomalies ?
- pourquoi n’a-t-elle pas saisi l’autorité judiciaire des infractions à la loi ?

Dans l’attente, je vous prie de recevoir, Madame la Présidente, mes salutations très respectueuses.

Alain Garrrigou

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