Puisque l’Ifop a daigné s’indigner de mes propos au journal Sud Ouest par un droit de réponse (20 mars 2012) [1] , je ne dédaignerai pas de répondre à ce droit de réponse. Certes, il y avait dans le début de l’article un défaut de transcription de mes propos car je sais trop bien que l’Elysée n’avait pas à commander un sondage dans la suite immédiate du meeting de Villepinte puisque d’autres s’en chargent pour lui. Dans ce genre d’affaires, chacun sait parfaitement ce qu’il doit faire pour satisfaire les attentes des siens. Pas un complot mais simplement une coordination tacite sans traces. Je n’ai pas relu mais je dois constater que c’est le seul moyen d’obtenir une réaction de défense des sondeurs qui d’habitude pratiquent le cimetière, c’est-à-dire font le silence sur leurs adversaires. Répondons donc point par point :
1 – Si le sondage du baromètre Ifop-Fiducial pour Paris Match, Public Sénat et Europe1 [2] n’a pas été commandé par l’Elysée qui ne commande plus de sondages depuis le rapport de la Cour des comptes de 2009 mais les fait faire par le SIG [3] et ses amis de la presse et des entreprises de sondages, il est tout de même étonnant qu’une vague d’un baromètre commence exactement à la clôture du meeting du président sortant.
2 – La méthodologie hybride du sondage (téléphone et internet) a beau être rigoureusement la même que précédemment, elle n’en est pas moins sans rigueur et a au moins suscité la mise en cause méthodologique de l’Observatoire des sondages. L’Ifop peut-il citer un seul scientifique qui la valide ?
3 – Les personnes qui répondent aux enquêtes en ligne sont plus politisées que la moyenne comme le reconnaissent d’autres sondeurs. L’Ifop semble seul à ne pas le reconnaître. Sinon, pourquoi les internautes répondraient-ils ? Cela suppose donc que l’Ifop applique les mêmes redressements que pour les enquêtes au téléphone. En outre, le panel de l’Ifop est biaisé par le fait que beaucoup d’internautes savent fort bien quelles sont les sympathies politiques de la propriétaire Laurence Parisot.
4 – Si les internautes répondant aux enquêtes en ligne ne sont pas différents des autres, pas plus politisés, pourquoi introduire une rémunération. Surtout s’il s’agit de quelques centimes d’euros. Une manière de les prendre pour des imbéciles. En fait une présentation tronquée qui consiste à diviser le montant total promis par le sondeur par le nombre de sondés alors qu’en réalité certains sondés cumulent des gains. Enfin, la rémunération est une question de principe dans la démocratie où l’expression de l’opinion doit être gratuite. Significativement, le Sénat a proposé d’interdire toute rémunération pour les enquêtes d’opinion. Les enquêtes de marché n’étant pas concernées.
6 – Il ne suffit pas que les enquêtes en ligne soient « très répandues » pour qu’elles soient acceptables. On comprend bien que les sondeurs y ont recours parce qu’ils trouvent de moins en moins de sondés par le téléphone. Le « moindre mal » comme l’a dit un sondeur ? Une autre solution : renoncer à l’inflation de sondages. Les enquêtes en ligne ne répondent pas aux critères de validité scientifique, maintenons-nous. Point de vue de scientifique. La commission des sondages n’effectuant quasiment pas de contrôle faute de moyens, et ne faisant jamais d’observation aux sondeurs, sa caution ne vaut rien. Comme les sénateurs en ont aussi convenu en proposant de la transformer.
6 – Les rolling polls sont un bricolage de plus qui consiste à fabriquer une opinion par renouvellement partiel de l’échantillon. Pour les uns, c’est l’opinion de tel jour, pour un tiers, celui de deux jours plus tard et ainsi de suite. Je mets l’Ifop au défi d’expliquer en quoi cela « permet de suivre finement l’évolution du rapport de force électoral ».
Enfin, l’Ifop ne répond pas sur les points suivants : en invitant les lecteurs à aller sur son site, il ne dit pas les limites de l’information et notamment comment les redressements des intentions de vote sont protégés par le « secret industriel » ; pour le sondage concerné, le lecteur ne trouvera pas non plus la proportion de sondés par téléphone et par internet ; et pour conclure, n’y a-t-il pas un conflit d’intérêt entre la propriété de l’Ifop et la situation de présidente du Medef et de soutien de Nicolas Sarkozy ? Certes, la question ne concerne pas seulement l’Ifop puisque Vincent Bolloré, milliardaire et ami du président, possède CSA. Et pour répondre aux protestations de neutralité politique, précisons qu’il arrive qu’on licencie des chargés d’études pour raisons politiques dans les entreprises de sondages. L’Ifop devrait aussi se demander pourquoi, selon ses termes, les « contre-vérités et graves accusations complètement infondées » à son égard sont largement partagées par la communauté scientifique ? Qui n’a pas aussi facilement un droit de réponse.