L’enquête se focalisa rapidement sur les sondages en donnant à son titre une définition fort restrictive. Le rapporteur s’attachait obstinément à faire la preuve d’un désavantage systématique des sondages sur les intentions de voix contre son leader Jean-Luc Mélenchon en se focalisant sur la question des redressements et en donnant ainsi au débat un tour technique, plutôt ennuyeux et très secondaire dans les critiques scientifiques des sondages. Quant au Président, il présidait en se chargeant surtout de passer la parole. Significativement, les questions des députés aux personnes auditionnées étaient souvent des exposés de leurs propres idées plus que des questions. Il n’est pas si facile de questionner quand la politique consiste à donner des réponses.
Le modus vivendi se brisa finalement quand à la suite de la présentation du rapport, le Président livra enfin un avis totalement opposé à celui du rapporteur : « Rien ne m’a convaincu dans les auditions, longues, que nous avons faites qu’il y avait un biais des sondeurs », avant de rappeler qu’« il y a une grande diversité chez les sondeurs, il y a finalement une grande concurrence, il y a des techniques professionnelles, il y a une commission des sondages qui les vérifie ». Cet avis sans motif ni démonstration, sinon la conviction, est une opinion comme une autre. Pas tout à fait cependant car il vient d’un commanditaire de sondages. Pendant les travaux de la commission d’enquête, le parti Renaissance, autrement dit Thomas Cazenave, commandait un sondage sur les candidats potentiels à l’élection municipale de Bordeaux. Proposant aux enquêtés un choix partiellement arbitraire de candidats, le sondage désignait Thomas Cazenave comme le candidat le mieux placé pour affronter le maire sortant Pierre Hurmic. Il était peut-être surtout mieux placé que sa rivale interne du parti présidentiel, Nathalie Delattre, sénatrice et ministre déléguée chargée du tourisme. Sous l’apparence de la neutralité factuelle, le quotidien régional Sud Ouest (18 avril 2025) se fit l’écho plutôt complice de ce sondage performatif visant à imposer la candidature de Thomas Cazenave.
Le mélange des genres qui fait d’un président de commission parlementaire le défenseur des sondeurs dont il est le client en plein travaux parlementaires sur le sujet posera à certains des doutes déontologiques. Cette dérive n’est pourtant qu’une métaphore de la transaction systémique entre les sondeurs et leurs clients politiques. Pour cette raison, il ne faut pas beaucoup espérer de la critique des sondages. Celle-ci concerne trop les intérêts des dirigeants politiques pour qu’ils ne cherchent pas les bonnes grâces des sondeurs. Comme d’habitude la commission des sondages n’y vit pas malice. Finalement, après beaucoup d’heures d’auditions, le Président avouait avoir perdu son temps. Et le nôtre ?
AG
