observatoire des sondages

Connivence entre sondeurs : ce sont eux qui le disent

mercredi 30 mars 2011

Les mots passent vite dans les débats télévisés, trop vite pour être retenus. C’est l’intérêt de la retranscription de ce débat où les sondeurs avouent ce qu’ils dénoncent chez leurs critiques comme relevant d’une vision complotive :

- ils s’entendent sur la coordination de la publication des résultats.

- ils agissent selon un sentiment de responsabilité politique qui n’a aucun rapport avec le métier de production d’informations.

- ils concèdent que la propriété des entreprises de sondages aux mains de grands groupes n’est pas sans risque.

Il a suffit que l’un d’eux, Harris Interactive, viole les accords tacites et discrets de la profession.

i>Télé lundi 7 mars 2011 (Un sondage qui fait polémique) :

- Michaël Darmon (i>Télé) : C’est donc le coup de tonnerre dans la vie politique ce week-end, ce sondage qui met un peu le feu aux poudres de la présidentielle. Selon l’institut Harris Interactive pour Le Parisien, Marine Le Pen arrive en tête ou arriverait en tête des intentions de vote avec 23% des voix. C’est la première fois donc qu’un sondage place le Front national en tête de la présidentielle en intentions de vote, et c’est bien sûr aussi la première fois pour Marine Le Pen. (...) Pourquoi, parce que c’est la question que l’on se pose tous, pourquoi Dominique Strauss kahn, par exemple, n’est-il pas traité dans votre sondage ? Est-ce que ce n’est pas justement là le maillon faible ? Puisqu’il est présent dans tous les instituts, sondé dans tous les sondages comme étant le candidat favori, mais il n’est pas dans ce sondage. Au fond on se dit : mais est-ce que ce n’est pas une opération tout simplement pour mettre Martine Aubry en difficulté ?

- Jean-Daniel Lévy (Harris Interactive) : Considérer qu’il y ait la volonté de la part d’Harris Interactive de mettre Martine Aubry en difficulté, serait nous faire, je crois, un véritable procès d’intention.(...) Il nous paraissait comme légitime de tester la représentante institutionnelle du Parti socialiste, à savoir Martine Aubry.

- Jérôme Sainte-Marie (CSA) : Choisir uniquement cette hypothèse qui n’est pas forcément la plus vraisemblable paraît extrêmement fragile. Je voudrais également souligner quand même, et je suis désolé de rompre aujourd’hui une forme de connivence entre instituts et entre sondeurs, mais quand même. On sait très bien, et je suis désolé Jean-Daniel Lévy, mais Le Parisien, vous même, vous nous avez habitués à des sondages scénarisés. On sait très bien que le dernier sondage publié par Le Parisien avec Jean-Daniel Lévy avant 2007 donnait Le Pen à 16,5 %, il a fait 10,5%, 6 points d’écart. Faut-il aujourd’hui retrancher 6 points au score de Marine Le Pen pour arriver à la vérité ? Répondez-nous là dessus. On sait très bien qu’en 2007 on avait eu 24%, un sondage bizarre encore une fois, 24% pour François Bayrou, 25% pour Ségolène Royal, 26 % pour Nicolas Sarkozy, on sait très bien que que tout cela assurait à chaque fois une excellente reprise au Parisien comme aujourd’hui, et on sait très bien que les instituts, tous les autres instituts n’avaient pas ces scores là dans les sondages qu’ils réalisaient. Donc c’est cette forme de cogestion médiatique qui devient littéralement insupportable.

- Michaël Darmon (i>Télé) : Jérôme Sainte-Marie là vous pointez Le Parisien parce que c’est le journal aujourd’hui...

- Jérôme Sainte-Marie (CSA) : Le Parisien et Harris Interactive.

- Michaël Darmon (i>Télé) : Mais on sait aussi que tous les médias commandent des sondages, donc il n’y a pas que volonté ici d’attaquer particulièrement Le Parisien, mais vous le pointez aujourd’hui parce que c’est lui qui publie aujourd’hui ce sondage. Qu’est ce que vous répondez à cela ?

- Jean-Daniel Lévy (Harris Interactive) : Moi je ne réponds pas aux attaques ad hominem, déjà, premier aspect. Deuxième point. Concernant le fond de la méthode pourquoi...

- Jérôme Sainte-Marie (CSA) : Des attaques sur les résultats de cette histoire.

- Michaël Darmon (i>Télé) : Si on met de côté l’attaque ad hominem, il y a une question de principe. Y a-t-il connivence, articulation entre un média qui dit : on va faire un coup - parce que c’est vrai que finalement aujourd’hui il y avait peut-être un coup à faire pour Le Parisien, on peut se poser la question...

- Jean-Daniel Lévy (Harris Interactive) : Une nouvelle formule du Journal du dimanche qui sort ce matin.

- Michaël Darmon (i>Télé) : Une nouvelle formule du Jdd qu’il fallait peut-être mettre en difficulté ? C’est de la concurrence au sein des journaux, on peut se dire aussi que c’est de bon aloi, mais quand même, y a-t-il ou pas, question qu’on se pose légitimement, une possibilité de connivence entre médias et un institut de sondages ? Question soulevée par Jérôme Sainte-Marie.

- Jean-Daniel Lévy (Harris Interactive) : Considérer qu’on a envie de faire des coups de manière systématique et être remis en cause éventuellement par la totalité des autres instituts de sondages, serait quand même assez spécieux, c’est à dire qu’on voudrait systématiquement se singulariser quitte à faire, sous entendu, n’importe quoi, en considérant que les autres clients n’ont absolument aucune importance pour l’institut.

- Edouard Lecerf (TNS-Sofrès) : Mais il y a une responsabilité.

- Jean Daniel Lévy (Harris Interactive) : Après la responsabilité est la suivante : cette intention de vote est une intention de vote que nous avions au départ posée pour nous, confidentiellement. Et la raison pour laquelle nous avons posé une seule hypothèse de vote c’était de nous dire : il se passe probablement quelque chose actuellement dans l’opinion...

- Edouard Lecerf (TNS-Sofrès) : Mais pourquoi celle-là en l’occurrence ?

- Jean-Daniel Lévy (Harris Interactive) : ...Alors probablement... je finis juste et je vous explique pourquoi...on voit aujourd’hui : et une montée de Marine Le Pen dans l’opinion, et un certain nombre d’interrogations des Français concernant ce qui se passe au sud de la Méditerranée, et un climat dans le pays qui amène les Français à être plutôt interrogatifs dans un contexte de baisse de la popularité de l’exécutif. Dans ce contexte nous décidons...

- Edouard Lecerf (TNS-Sofrès) : Mais Martine Aubry !

- Jean-Daniel Lévy (Harris Interactive) : ...Nous décidons pour nous, nous décidons pour nous, de réaliser une « intention de vote » pour voir précisément ce qui se passe dans le pays. Pourquoi choisir Martine Aubry plutôt de DSK ? Parce que jusqu’à présent à chaque fois que nous avons travaillé pour nous, pour regarder ce qu’il se passait dans le pays sans sortir ces données là, nous avons testé Martine Aubry c’est peut-être une erreur, on peut peut-être échanger là dessus...

(...)

- Jean-Daniel Lévy (Harris Interactive) : Il y a une place pour un débat, il y a un débat constructif, il y en a un qui l’est un peu moins. En tout cas nous, on a toujours considéré qu’on était extrêmement responsable. Le fait de publier une telle donnée est également une prise de responsabilité. On aurait pu choisir de ne pas le faire. On avait anticipé qu’il y aurait probablement un débat, peut-être pas à la hauteur aujourd’hui de la manière dont il se déroule, mais en tout cas c’est une véritable prise de responsabilité et en conscience, nous l’avons fait.

- Michaël Darmon (i>Télé) : Au fond est ce que ce n’est pas un mauvais sondage pour Marine Le Pen ? Paradoxalement, parce que voilà... ça va reconstituer le vote utile ?

- Jean-Daniel Lévy (Harris Interactive)  : Si on commence à se poser la question, à partir du moment où on publie un sondage, des effets sur l’opinion, sur les états-majors ou sur les Français, on arrête immédiatement de travailler. Et partir du moment où un sondeur décide de publier une donnée et un support de le publier, c’est qu’il considère qu’il y a une donnée d’opinion. Et si nous avons pris la décision, et je vous le dis vraiment de manière extrêmement solennelle, si nous avons pris la décision de publier cette décision...de publier cette enquête, ce n’est pas parce qu’on pensait faire un coup. Ce n’est pas parce qu’il y avait, éventuellement selon les uns et les autres, des nouvelles formules d’un journal ou éventuellement une volonté de se faire de la publicité, mais parce que nous avons, au regard des données que nous avons relevées, vu qu’il y avait cette nette montée de Marine Le Pen et que celle-ci se traduisait de cette manière là, en tout cas dans le cadre de cette intention de vote.

- Edouard Lecerf (TNS-Sofrès) : Je suis désolé de ré-insister, mais soit on est dans l’irresponsabilité, soit on est dans l’incompétence. Je suis désolé d’être aussi dur que cela. Parce que dire : on n’a pas pris de risque, on n’a pas souhaité agir sur les Français (...) c’est vrai que dans notre profession, on essaye, on ne va pas faire une intention de vote en fonction de l’effet qu’elle va avoir et en fonction de ce qu’on y trouve. Mais ne pas avoir réfléchi à ce que ça allait faire, publier cette intention de vote sans comparer, sans mettre en perspective, sans avoir le recul nécessaire - Jérôme Sainte-Marie le disait tout à l’heure, c’est une période qui ne va cesser en plus de monter en puissance, au cours de laquelle les sondeurs, les instituts de sondage vont être interrogés, sur leur méthode, sur leur technique - là on est dans le pire de ce que l’on peut faire en termes de non réflexion sur notre responsabilité encore une fois. Là il y a une vraie, un vrai écart par rapport à ce qu’est, et ce que devrait être cette profession.

- Jean Daniel Lévy (Harris Interactive) : Donc la responsabilité aurait été de ne pas publier cette enquête ?

- Edouard Lecerf (TNS Sofrès) : Très vraisemblablement oui, bien sûr. S’il n’y avait pas d’autre moyen. D’abord la responsabilité de sondeur c’est de se dire à un moment : je fais une enquête, je prends tous les éléments nécessaires, même pour n’en publier qu’une partie. En tout cas vous auriez des éléments pour pouvoir dire voilà j’ai fait ce choix, il ne serait peut-être pas beaucoup plus respectable. Mais en tout cas dans la technique lorsqu’on va faire des intentions de vote, on les fait complètement et dans leur ensemble et on analyse toute l’offre politique. Aujourd’hui on sait qu’un Français sur deux peut changer d’avis, on sait que l’offre politique n’est pas stabilisée, toutes ces choses là on les prend en compte, lorsque l’on fait ce travail là, me semble-t-il.

- Jérôme Sainte-Marie (CSA) : Au delà des problèmes de responsabilité, je crois que toute vérité est bonne à dire. Dans la distribution des intentions de vote que j’observe, j’ai l’impression qu’il y a une part de cosmétique qui est assez importante, je suis désolé le dire. On pourra le vérifier dans les jours qui viennent.

- Michaël Darmon (i>Télé)  : Les instituts de sondage ne deviennent-ils pas pour la campagne 2012 des instruments de combat politique à part entière ? On sait maintenant qu’il y a des prises de partenariat, il y a des grands groupes qui sont aussi maintenant derrière les instituts. Est ce qu’au fond vous ne devenez pas aussi, vous tous, des acteurs du combat politique ?

- Jérôme Sainte-Marie (CSA) : Oui c’est le risque. C’est une accusation récurrente qui est faite pour chacun d’entre nous, sur des bases différentes. Je crois que la seule façon de répondre à ces accusations tout à fait légitimes portées sur les sondeurs et sur les instituts, c’est de voir la qualité de la production, l’objectivité des synthèses et la précision des résultats, c’est la seule chose.

Lire aussi