Un sondage, en réalité quelques questions ajoutées à une enquête électorale Opinionway-Cevipof de mai 2012 [1], assure que « la moitié des Français croient aux théories du complot » , et apporte une information surprenante comme les médias aiment dorénavant en offrir à coup de sondages (Le Monde.fr, 3 mai 2013). A strictement parler, cette moitié est constituée par ceux qui ont répondu positivement à l’énoncé selon lequel « ce n’est pas le gouvernement qui gouverne car on ne sait pas en réalité qui tire les ficelles ». Respectivement, 22% sont totalement d’accord et 29% plutôt d’accord. Que pour des politologues les énoncés suffisent à établir une adhésion claire, signifie-t-il que ce soit vrai pour les sondés ? Autrement dit, n’y a-t’il que les « conspirationnistes » pour répondre positivement à une question aussi simple ? N’est-elle pas plutôt polysémique ? Il est facile de le vérifier par l’examen du sens donné aux réponses. Les vrais pouvoirs en quelque sorte seraient, dans un ordre hiérarchique la finance internationale, les grands médias, des pays dominateurs, des groupes secrets comme les francs maçon ou certains groupes religieux. A strictement parler la thèse conspirative ne s’exprime que pour les groupes secrets et donc une seule proposition aux internautes. Le reste n’est pas secret mais qui soutiendrait que leur rôle soit parfaitement connu. Dans une vision aussi large de la thèse conspirative, il faudrait ranger J. A. Hobson, R. Hilferding et les nombreux économistes qui ont prétendu démontrer la domination mondiale du capitalisme financier, puis les tenants d’un quatrième pouvoir et aussi les théoriciens de l’impérialisme depuis Thucydide. Plus largement, s’il n’est de science que de caché, les scientifiques croient donc aux thèses conspiratives.
Il est donc patent que l’enquête est grossièrement biaisée par une mauvaise question. Il est sans doute plus grave de découvrir à quel degré d’incompréhension tire la méthodologie des sondages (l’inhibition méthodologique) qui, afin d’en justifier l’emploi, amène à ne plus savoir ce qu’est la démarche scientifique, et finisse par la confondre avec la vision conspirative. On ne rendrait pas justice aux concepteurs de ce simulacre d’enquête si on ne soupçonnait pas des intentions politiques. Les théories conspiratives semblent ici un équivalent fonctionnel de ces mots stigmatisants de la politique qui visent à discréditer l’adversaire comme le totalitarisme ou le populisme. Malgré la difficulté à obtenir des corrélations significatives avec des questions biaisées – ce qui aurait dû attirer l’attention de "nos" sondeurs - reste la convergence de l’extrême droite et de l’extrême gauche sur une vision plus conspirative. Ne s’agissait-il que de cela ?