A l’approche des élections régionales, les sondages se multiplient. La routine. Pourtant, ces sondages soulèvent quelques problèmes méthodologiques sinon nouveaux du moins aggravés. Ils nous annoncent d’une part un record d’abstention comme un pari : plus ou moins de 50 %, un seuil psychologique qu’on s’empressera ensuite d’oublier ; d’autre part, les intentions de vote font apparaître des taux de non réponse tellement plus bas qu’ils sont incompatibles avec l’abstention prévue.
Exemple, un sondage IFOP-Lettre de l’opinion effectué les 25-26 février 2010 a mesuré les intentions de vote de 826 personnes à partir d’un échantillon de 955 sondés. Cela signifie donc, sans qu’on nous l’expose explicitement, que l’abstention s’élève à 13,5 %. Seulement.
Autre exemple, un sondage TNS Sofres-Logica sur l’élection en Alsace a été effectué du 2 au 4 mars sur un échantillon de 700 personnes. Au-dessous des tableaux, une petite ligne nous indique le pourcentage de ceux qui n’ont pas manifesté d’intentions de vote : 15 % pour le premier tour. Seulement. Toutefois, les choses apparaissent encore plus floues quand on apprend que 47 % des sondés ne sont pas absolument sûrs de leur choix. De leur choix ou même d’aller voter. Il est en effet probable que l’abstention sera plus élevée chez ces électeurs pas encore sûrs. Comment expliquer cette sous estimation de l’abstention ? On ne fait pas de sondages pour estimer une abstention mais bien pour aller directement à la partie utile du vote, les rapports de force entre partis. Tout le dispositif contribue à produire de l’opinion. Ici, les sondés se plient sans doute d’autant plus volontiers que pour une partie d’entre eux, le sondage sert de substitut à l’élection. Cela donnerait-il consistance à la vieille hypothèse selon laquelle les sondages diminuent la participation électorale ?
Un autre fait ressort manifestement même si la tendance est amorcée depuis quelques années : la réduction des échantillons au point que la représentativité est plus sujette à caution que jamais sur ce simple critère objectif. Il faut en effet réduire les chiffres de sondés, aujourd’hui souvent inférieurs au chiffre fétiche de 1000 qui était la norme hier, en prenant en compte seulement ceux qui émettent une opinion. Exemple du sondage CSA-Marianne, sur l’élection présidentielle de 2012, effectué les 2-3 mars sur 757 Personnes. La fiche technique annonce 40 % d’abstentions, blancs et nuls (au passage on se demande ce qu’est un vote nul dans un sondage). Premier point, ce chiffre de 40 % est très probablement sous estimé. Deuxième point, en le prenant au sérieux, cela fait une population de 454 personnes « utiles ». Si on considère les ventilations de suffrages en chiffres absolus, seul un candidat dépasse les 100 sondés (122 pour François Fillon) ; les autres n’ont remporté que quelques dizaines de suffrages (95 pour Martine Aubry, 31 pour Olivier Besancenot, 36 pour Marine Le Pen, 50 pour François Bayrou, 40 pour Dominique Villepin ; 13 pour Nathalie Arthaud). Que dire des tris croisés effectués sur le genre, l’âge, la profession, le revenu et le niveau d’instruction sinon que les effectifs se réduisent à quelques unités justifiant la « prudence » nécessaire qu’indique l’institut de sondage au détour d’un astérisque.
Autre exemple : un sondage CSA-Le Parisien-Aujourd’hui sur « le rapport de force national » effectué les 24-25 février 2010 à partir d’un échantillon de 792 personnes. Cette fois, il nous est indiqué que les abstentions, blancs et nuls s’élèvent à 50 %. La population d’enquête à partir de laquelle sont établis les pourcentages de voix s’élève donc à 396 personnes. Encore une fois, les tableaux croisés sont assortis de la réserve sur la « prudence » d’interprétation.
Si l’on considère que la loi des grands nombre qui fonde le calcul de probabilité ne s’applique qu’à partir d’un effectif d’une trentaine d’individus, qu’au-dessous de 100 personnes la marge d’erreur se situe environ à plus ou moins 10 % et qu’elle est encore de plus ou moins 5 % pour 400 personnes, on apprécie l’intérêt d’une campagne électorale toute occupée par les sondages. Tous les commentateurs commentent pourtant. Rébarbative méthodologie. Qu’importe leur fiabilité pourvu qu’on ait des chiffres.