observatoire des sondages

Les sondages selon le Conseil d’Etat : un produit industriel

samedi 28 janvier 2012

Le recours de Jean Luc Mélenchon devant le Conseil d’Etat a été inscrit à la séance publique du mercredi 25 janvier 2012. Le candidat à l’élection présidentielle avait demandé à la commission des sondages la fiche technique d’un sondage Harris Interactive-Le Parisien du 7 septembre 2011. L’instance de contrôle lui avait fourni des documents très succincts et lui avait refusé les renseignements demandés sur le redressement qui lui était appliqué sur son propre score d’intentions de vote. Elle lui avait seulement indiqué que le redressement avait été opéré avec la référence de l’élection présidentielle de 2007 ! On apprécie d’autant plus les affirmations de journalistes ou sondeurs prétendant que ces redressements sont publics [1]. Les candidats même n’y ont pas droit. A moins sans doute qu’ils paient les sondages. Inégalité de la compétition politique sanctionnée par la commission des sondages. On a donc eu cette fois le spectacle d’un candidat qui se rebiffe et pour la première fois conteste l’interprétation restrictive de la loi de 1977 sur les obligations de transparence devant le Conseil d’Etat.

Pas moins de deux sections, soit près d’une vingtaine de membres du Conseil, étaient donc réunies pour 9 affaires. Sept d’entre elles concernaient des contribuables contestant en dernier recours d’autres redressements... Une affaire concernait un titre de séjour. Seul le recours du candidat du Front de gauche concernait un sujet d’intérêt public. Dans l’ordre, vinrent d’abord les affaires où un avocat bénéficiant d’une accréditation au Conseil d’Etat était présent. En face du président de séance, ils écoutèrent le rapport monotone lu par le rapporteur public [2] et prononcèrent quelques mots conventionnels et inaudibles à l’annonce de la mise en délibéré. Sans doute pour approuver puisqu’ils sortaient immédiatement de la salle. Bonne manière des juges administratifs faite à des avocats qu’on n’allait pas retarder dans leurs affaires. Enfin, après les rapports très pointilleux sur la fiscalité, vient en dernier l’affaire d’intérêt public des sondages. Sans doute, le Conseil d’Etat avait-il trouvé dans cet ordre le moyen de conserver un public jusqu’au bout de la séance. Car à l’écoute des considérations de droit fiscal, on s’ennuyait ferme. Au bout d’une heure, des signes d’ennui pointaient même parmi les membres de cette éminente assemblée qui baillaient ou riaient en aparté. Quant au public qui ne comprenait pas le langage juridique...

On n’attendait pas du Conseil d’Etat qu’il déjuge les siens. Rappelons que la commission des sondages est composée de trois conseillers d’Etat (sur 11 membres), qu’elle est présidée de droit par un conseiller d’Etat et qu’elle est installée… au Conseil d’Etat. Le rapport établit donc qu’il y avait bien eu des fautes au regard de la loi de 1977 comme des lacunes de la fiche technique, des problèmes sur les sondages en ligne mais que, in fine, cela ne suffisait pas à donner droit au requérant. Le sujet imposait évidemment de dépasser le seul terrain juridique en obligeant le rapporteur à s’informer sur la technique des sondages. On ne sait s’il faut y voir une chance pour s’instruire ou une limite des jugements confiés à des juristes. Toujours est-il que le rapporteur public n’a pas comblé ses lacunes techniques en s’informant probablement auprès de ses confrères de la commission des sondages qui s’informent eux-mêmes depuis longtemps auprès des seuls sondeurs. On entendit donc les arguments des sondeurs. Il faut toutefois à une juridiction administrative se fonder sur du droit. Et le pas a été franchi. Déjà largement suggéré dans la revendication des secrets de fabrication pour refuser la publication des redressements, il fallait au Conseil d’Etat une référence juridique ferme. Le rapporteur justifia donc le refus de communiquer les redressements par le « secret industriel ». Les choses sont ainsi dites : les sondages sont des produits industriels. On s’en doutait mais il convenait que cela fut dit par une institution officielle. On attend l’arrêt [3] .


[1Roland Cayrol et Alain Duhamel, « Café Picouly », France 5, 18 mars 2011.

[2Anciennement commissaire du gouvernement, décret du 7 janvier 2009.

[3Addendum arrêt du Conseil d’Etat, 8 février 2012

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