observatoire des sondages

Présidentielle 2012 : C dans l’air soutient Nicolas Sarkozy

samedi 21 mai 2011

L’édition du 4 mai 2011 de C dans l’air [1], consacrée à la politique intérieure française, constitue un moment de propagande emblématique de cette émission. Intitulée "Sarko a-t-il une chance ?", elle prend l’allure d’une discussion entre amis, avec comme figures incontournables du dispositif, un politologue (dans le cas présent deux), un sondeur et une journaliste, réunis pour se convaincre à tout prix que l’échéance présidentielle verra bien la victoire de leur champion et que les téléspectateurs qui ne sauraient pas convaincus doivent s’y résoudre, « preuves » à l’appui. Pour une analyse du dispositif de l’émission retranscrite ici dans sa quasi totalité cf. C dans l’air, un exemple de propagande..

- Yves Calvi (France 5) : Votre dernière enquête pour BFM-RMC et 20Minutes était intitulée Sarkozy peut-il gagner en 2012 ? et la réponse cette fois-ci était plutôt oui, en tout cas sa présence au second tour était assurée. Est-ce qu’il y a quelqu’un autour de cette table qui pense qu’il ne sera pas candidat à sa succession ?

- Raphaëlle Bacqué (Le Monde) : Non ! Il ne peut pas ne pas l’être. Parce que quand on est président, tout à coup se retirer comme ça serait curieux, il n’a pas vraiment de remplaçant et de toute façon il est trop tard.

- Pascal Perrineau (Sciences-Po, Fondapol) : En ce moment, on est en train dans les différentes cotes de popularité de recenser des niveaux extrêmement faibles. Seul Jacques Chirac, lors de son second mandat a été plus bas que Nicolas Sarkozy, mais en dépit de cela il continue à rassembler à peu près 2/3 des sympathisants de l’UMP. Donc dans le cœur de cible de l’électorat qu’il va chercher à rassembler au premier tour, il reste dans une position qui reste une position relativement confortable. Ça ne suffit pas, mais il va falloir, ensuite c’est la campagne, il va falloir qu’il élargisse partir de ces 2/3 de ces sympathisants qui le suivent.

- Jérôme Sainte Marie (BVA) : Pour Nicolas Sarkozy les gens anticipent sa défaite mais à droite on souhaite sa candidature majoritairement, et évidemment c’est l’élément essentiel, donc il sera candidat.

- Yves Calvi : Dois-je vous rappeler ce qu’à la longueur d’émissions ici vous nous commentez comme étant bien entendu des résultats d’un instant T ? C’est-à-dire des sondages qui sont quand même et durablement extrêmement durs pour le président de la République, des enquêtes approfondies dans Le Monde qui montrent que même dans son camp on a eu des doutes énormes, certains politologues font remarquer en travaillant sur ces questions : « Dites donc s’il est réélu ça sera un cas d’école ! ». En dépit de tout cela vous dites : il sera probablement candidat. Est-ce que vous allez jusqu’à dire : il peut encore être élu ?

- Jérôme Sainte Marie : Il peut bien sûr être réélu, sinon il ne se serait peut-être pas candidat. Des cotes de popularité extrêmement faibles d’autres en ont connues, des anticipations de défaites d’autres en ont connues dans des contextes très différents, souvenons-nous de François Mitterrand au milieu des années 80, il était donné comme archi-battu, on était même pas sûr qu’il finisse son mandat.

- Dominique Reynié (Sciences-Po, Fondapol) : Ce n’est pas maintenant qu’on va ouvrir le chantier de la candidature de l’UMP. Puis la droite l’a jugé comme président, assez sévèrement jusqu’à présent, elle va le juger comme candidat, ça va modifier assez profondément la donne, ça c’est sûr. Avec lui la droite peut gagner, sans lui elle perd à coup sûr aujourd’hui, je veux dire l’UMP. Il n’ y a pas d’autre possibilité.

- Yves Calvi : Comment réagissent ceux qui viennent assister à ses discours. Je ne vous parle pas uniquement des meetings organisés par l’UMP ?.... Des visites d’usines aux réunions électorales ?

- Raphaëlle Bacqué : Ce sont des voyages très rapides et sans doute trop rapides. Je m’étonne d’ailleurs qu’autour de lui, que ses conseillers ne lui conseillent pas de rester plus longtemps à prendre contact avec les gens. Il y a des militants de l’UMP évidemment qui sont là, mais il n’y a pas que des militants de l’UMP. Les gens sont d’ailleurs très républicains, il est bien accueilli. Il est très rarement insulté, moi qui ai suivi Jacques Chirac en 2002, je me souviens très bien que les gens criaient sur son passage : "Super menteur !". Ce n’est pas le cas pour l’instant. On ne ressent pas sur le terrain l’agressivité qu’on voit par ailleurs dans les medias, ça se passe de manière assez calme et pourtant, on voit bien que cela n’accroche pas....il peut parler de la maladie d’Alzheimer, il peut parler de l’industrialisation... à chaque fois que j’interroge les gens qui ont écouté son discours, ils n’y croient plus. Alors là c’est vraiment un problème, il n’accroche pas l’opinion, en tout cas ceux qui le voient, alors même qu’ils le voient en chair et en os, c’est toujours plus séduisant que de voir un personnage à la télévision.

- Yves Calvi : Vous nous dites qu’il n’y a plus d’électricité dans l’air, ni positive ni négative ?

- Raphaëlle Bacqué : en 2007 il y avait de l’effervescence, il y avait quelque chose sur son passage, on voyait bien qu’il y avait du charisme qui passait. Là, je trouve qu’il n’accroche plus la lumière. Comme un acteur, c’est frappant...il peut la retrouver...

- Yves Calvi : Vous dites qu’il est moins mal reçu que le président Jacques Chirac à l’époque ?

- Raphaëlle Bacqué : Oui, je trouve qu’il n’est pas trop mal reçu, en comparaison à ce qu’on voit dans les enquêtes, où on sent une forte hostilité, l’opinion est...là sur le terrain. Les plus hostiles ne vont pas voir le président tout simplement.

- Yves Calvi : Est-ce qu’on a un Nicolas Sarkozy voué à être un autre personnage ? J’ai été frappé par le distinguo que faisait à l’instant Dominique Reynié nous disant : « Attention on continue de juger actuellement le président, on va bientôt juger le candidat ». Est-ce que cela change vraiment tout, et est-ce qu’on peut découvrir, je ne sais pas si on peut dire un Sarkozy nouveau, mais en tout cas quelqu’un d’autre dans l’année à venir ?

- Pascal Perrineau : Oui bien sûr. Un candidat président en campagne ça n’est pas un président. Souvenons-nous de François Mitterrand en 1988, quelques années auparavant il était absolument rejeté, extrêmement impopulaire, et il a une posture extrêmement différente de celle qu’il avait en 1981. C’est le président surplombant, c’est le président qui rassemble, c’est le président qui rassure et ça n’est plus du tout le candidat de la gauche de rupture, comme l’a été pour la droite, Nicolas Sarkozy.

- Yves Calvi : Stratosphérique !

- Pascal Perrineau : Oui il était assez stratosphérique. Est-ce que Nicolas Sarkozy prendra comme modèle François Mitterrand ? Je ne sais pas, mais tout simplement pour dire que celui qui porte le projet n’est pas celui qui porte le bilan. Nous sommes en ce moment dans la phase de celui qui tente de ferrailler sur un bilan qui est très difficile à défendre puisqu’il a été complètement perturbé, en particulier par la crise économique et financière de 2008.

- Yves Calvi : Mais Nicolas Sarkozy ne peut pas se transformer non plus en Arturo Brachetti [2]. Si justement le bilan est jugé sévèrement en ce moment, il reste quand même à des niveaux très bas. Quelle est la dynamique ou qu’est-ce qui peut changer le flux pour remettre de l’électricité dans l’air pour prendre l’image de Raphaëlle Bacqué ?

- Pascal Perrineau : Il va donner à voir certainement une dimension de projet. On le voit : sa politique étrangère. Il cherche à lui donner maintenant un sens en ce qui concerne en particulier la politique étrangère autour de la Méditerranée. Il dit au fond : la notion clé ce n’est plus la notion de stabilité mais c’est la notion, quitte à assumer des ruptures, c’est la notion de démocratie. Bon, il cherche à mettre en musique, alors on va voir, on est au début du processus, mais je veux dire que ça correspond à un comportement de fond de l’électorat. Vous savez en science politique on distingue d’habitude deux types de vote : il y a le vote rétrospectif et le vote prospectif. Et beaucoup d’enquêtes montrent que le vote n’est pas un vote sur le passé. Bien sûr il y a une dimension vote sur le passé, vote sur le bilan, mais il y a une dimension vote prospectif, vote sur le projet. Et là on verra l’habileté de Nicolas Sarkozy et de son équipe à inventer un projet qui éventuellement pourra faire revenir quelques déçus vers les urnes.


Mini-reportage sur le procès Clearstream


- Yves Calvi : On ne sait pas du tout ce qui va se passer en appel autour de ce procès. D’une certaine façon j’avais envie de vous dire : pourquoi là aussi on a l’impression que ça n’accroche plus ? Vous me disiez à l’instant : on est un peu plus près du vaudeville maintenant. Pourquoi il n’y a plus ce caractère dramatique ? Dont on se dit que cela peut faire au minimum exploser la maison UMP ou la maison de la droite ?

- Jérôme Sainte Marie : L’intérêt du public n’est plus là effectivement. Lors du premier procès c’était déjà inconcevable que Dominique de Villepin soit candidat contre Nicolas Sarkozy, ça relevait de l’impensable, ça a eu lieu. Déjà plus de surprise. Et l’autre élément, ça n’a pas provoqué un bouleversement incroyable. Il plafonne actuellement à 4%, si Borloo est candidat, et 5% si Borloo ne l’est pas. Donc 4 ou 5% ça signifie qu’il est en dessous du remboursement des frais de campagne. Donc pour être tout à fait trivial, sa candidature devient peu évidente. L’autre élément, je voudrais revenir sur ce qui a été dit tout l’heure sur l’image de Nicolas Sarkozy, ce qu’on voit apparaître dans les quantis mais également dans les qualis, c’est effectivement Nicolas Sarkozy comme président...

- Yves Calvi : Je précise pour les téléspectateurs, les sondages quantitatifs et les sondages qualitatifs.

- Jérôme Sainte Marie : Les qualitatifs sont des réunions animées par des psycho-sociologues où les gens parlent très librement pendant trois ou quatre heures, ça donne des choses tout à fait intéressantes. On voit apparaître... effectivement Nicolas Sarkozy est évidemment très discrédité disons comme président de la République, mais n’est plus aussi rejeté aussi détesté, comme personnalité comme homme, qu’il l’était il y a quelques mois.

- Yves Calvi : Il y a une évolution sur le personnage ?

- Jérôme Sainte Marie : Tout à fait. Faut voir aussi qu’il a beaucoup changé sa communication. Il s’est quand même beaucoup tempéré. Ça commence visiblement a donné des résultats, et on voit apparaître deux éléments. Un élément qui peut être inquiétant, c’est une forme d’indifférence, comme si déjà les gens étaient passés à autre chose. Mais un autre élément c’est une sorte de calme qui revient, qui permet à des éléments, comme le courage, la volonté, ce genre de chose dont il reste crédité, d’apparaître.

- Yves Calvi : Ce que vous nous dites courtoisement c’est : quand il se calme nous aussi. Nous le corps des sondés si je peux dire.

- Jérôme Sainte Marie : C’est ambivalent. On ne sait pas exactement, si l’opinion est passée à autre chose, ou si elle redevient disponible pour un discours positif sur la personnalité.

- Yves Calvi : Est-ce qu’on peut imaginer qu’il ne se présente pas, je vous parle de Dominique de Villepin ?

- Raphaëlle Bacqué : Oui, Nicolas Sarkozy l’a reçu plusieurs fois, il a fait intervenir plusieurs amis, il fait pression sur ceux qui pourraient financer Dominique de Villepin. Donc il y a vraiment une volonté de Nicolas Sarkozy d’empêcher sa candidature pas forcément par des moyens coercitifs, plus par des moyens de réconciliation.

- Pascal Perrineau : Cette tribune que constitue un procès, on peut l’utiliser de manière politique quand il y a une vague ou une vaguelette derrière vous. Pour Dominique de Villepin il n’y a rien. Cela appelle Dominique de Villepin à une grande modération....Depuis des mois le phénomène de Villepin en matière électorale ne prend pas. Et est-ce que d’autre part Dominique de Villepin a envie d’apparaître comme le diviseur, comme le diviseur des droites ? Je ne crois pas que c’est le rôle auquel il aspire. Si en revanche il avait été dans une dynamique où on le voyait peu à peu aller vers les 8, les 9, les 10%, où il aurait pu jouer le perturbateur, je crois à ce moment là qu’il ne se serait pas privé d’utiliser la scène Clearstream pour faire passer cette perturbation.

- Yves Calvi : Quel poste on pourrait lui trouver en cas de réélection éventuelle de Nicolas Sarkozy, plutôt qu’il aille écrire un ixième livre ? Vous ne voulez pas me le nommer quelque part Dominique de Villepin ?

- Dominique Reynié : A supposer que Nicolas Sarkozy gagne en 2012, il n’est pas certain, en tout cas moi je le crois, qu’il ait la majorité aux législatives, ce n’est pas le sujet aujourd’hui...même si certains sont très inquiets par ce que le président de la République est très impopulaire. Si jamais il lui arrive malheur sur le plan électoral, pour eux ce sera une débâcle assurée. Sachant que s’il l’emporte ça n’est pas le triomphe assuré. Ils n’ont pas d’autre horizon aujourd’hui, pour ceux qui sont à l’UMP, que de voir Nicolas Sarkozy réélu en 2012, pour avoir plus de chance d’être réélus, et de toute façon ce sera difficile pour les députés UMP.

- Yves Calvi : Vous venez de publier une enquête qui était très intéressante, qui d’ailleurs était l’une des rares enquêtes un peu optimistes, concernant...il ne fait pas des chiffres exceptionnels mais enfin ça allait mieux quand même pour notre président de la République. Est-ce qu’il peut encore y avoir une candidature de François Fillon, ou est-ce que c’est inimaginable ? Voilà un homme qui connait des sommets de popularité.

- Jérôme Sainte Marie : Ah non ! On a testé François Fillon comme candidat à l’élection présidentielle, comme seul candidat de l’UMP, ça été fait par CSA, par d’autres instituts aussi, ça ne donne pas des résultats mirobolants.

- Yves Calvi : En tant que candidat à l’élection présidentielle ?

- Jérôme Sainte Marie : Absolument ! Il fait moins que Nicolas Sarkozy. Et encore une fois c’est tout l’intérêt de voir que la popularité ne se transforme pas en intention de vote, et l’impopularité ne se transforme pas forcément en échec électoral.

- Pascal Perrineau : Il aurait fallu que le désamour vis-à-vis de Nicolas Sarkozy de certains électeurs de droite profite directement à Fillon, ça n’est plus le cas. On regarde toutes les dernières enquêtes on a même l’impression que l’érosion est de plus en plus parallèle entre le premier ministre et le président de la République.

- Dominique Reynié : Il n’est pas certain que dans l’opinion il y ait une volonté majoritaire de changer ce que représente la politique menée aujourd’hui par Nicolas Sarkozy et son gouvernement, ça ce n’est pas certain !

- Yves Calvi : Elle continue à progresser dans les enquêtes d’opinion Marine Le Pen ?

- Jérôme Sainte Marie : Non pas du tout. Désolé, je sais que l’on vit sur une espèce d’émulsion médiatico-politique autour de Marine Le Pen. Elle s’est affirmée en janvier, elle était à 17, 18% dans les intentions de vote au moment du congrès de Tours... Depuis elle est à 18, 19, parfois 20%, c’est énorme....

- Yves Calvi : Pardonnez-moi ! Mais la principale information c’est que c’est énorme !

- Jérôme Sainte Marie : Oui mais vous me demandiez si c’est une progression.

- Dominique Reynié : Tout dépend de la manière dont on veut évaluer Marine Le Pen et le Front national. S’il s’agit de dire ou de se demander si elle peut gagner la prochaine présidentielle, on serait étonné si c’était le cas en 2012. Mais elle peut être en train d’opérer un mouvement historique de captation d’une partie significative de l’électorat de droite, et elle peut se trouver après 2012 dans la situation de recomposer, presque à sa main, la droite en France en ayant elle une part déterminante dans la suite des événements. Il ne faut pas simplement regarder ce parti comme pouvant un jour gagner la présidentielle. C’est un parti qui peut gagner, moi je le crois beaucoup de scrutin locaux et qui peut se bâtir une vraie puissance de gestion, de gestion de clientèle, de réseau de ressources au niveau local, ce sera plutôt l’objet du quinquennat 2012-2017 pour le Front national et Marine Le Pen.

- Yves Calvi : Deux choses : à 20 points, en gros, on peut juste dire que sa présence au second tour est effectivement possible, je n’ai pas dit probable, mais possible.

- Dominique Reynié : Oui bien sûr.

- Pascal Perrineau : ...Pour l’instant il y a une minorité de l’électorat, une minorité de l’électorat de l’UMP, qui prête une oreille attentive à ses sirènes (Front national). Une majorité de cet électorat pour l’instant dit : il n’est pas question pour nous par exemple, d’alliance au plan national avec le Front national.

- Yves Calvi : Je vous parle de la mutation du Front national, ceux qui parlent de Marine Le Pen en disant Marine c’est plus la même chose, quelque chose a changé.

- Pascal Perrineau : La stratégie marketing du Front national a changé...simplement la stratégie est plus cohérente, plus volontaire, elle est davantage réfléchie, mais ne surestimons pas cette manifestation du 1er mai. Selon les forces de police, il y avait environ 4000 personnes. L’appareil qu’est le Front national reste tout de même un tout petit appareil. Donc pour l’instant ça repose sur les épaules de Marine Le Pen. Il y a les premiers éléments, on l’a vu aux cantonales, donc ce n’est pas simplement dans les sondages. On l’a vu dans des élections et dans les sondages il y a les éléments d’une dynamique, maintenant il faut tenir la distance, c’est à dire un an.

- Raphaëlle Bacqué : Ce que vous décrivez n’est pas massif, c’est même très minoritaire en fait.

- Yves Calvi : En tout cas le président de la République parie, évidemment pourrait-on dire, sur une embellie économique pour espérer être réélu. La croissance repart, même mollement, le chômage devrait lui aussi s’améliorer, et à l’Elysée on estime que les Français vont observer ces changements. La communication se fait aussi sur le maintien du pouvoir d’achat des salariés pendant la crise, autrement dit il y a eu un capitaine dans le bateau qui a protégé ces mêmes salariés, les derniers chiffres de l’INSEE vont d’ailleurs plutôt dans ce sens. Bien entendu le gros problème restant les déficits absolument abyssaux de notre pays.


Mini reportage : Interview de l’économiste Jean Marc Daniel qui juge le bilan de la politique de Nicolas Sarkozy

- Jean-Marc Daniel (EAP-ESCP) : « Il pourra mettre en avant des chiffres, c’est à dire la croissance. Il pourra mettre aussi en avant l’impression que va avoir la population, puisque derrière cette reprise il y a aussi des créations d’emplois. L’économie française crée environ 10 000 emplois supplémentaires par mois. C’est-à-dire que le chômage tendanciellement devrait baisser de 10 000 à 15 000 personnes par mois d’ici aux élections, et ça il pourra le mettre en avant. Mais ça, la population va s’en apercevoir car quand on a 120 000 à 130 000 créations d’emplois dans une année dans le pays, la population le voit physiquement dans son destin... Il pourra mettre en avant qu’il ne s’en est pas mal tiré, il pourra aussi mettre en avant le fait que le pouvoir d’achat a été maintenu. Il s’était présenté comme le président du pouvoir d’achat et de fait, même si les Français en ont moins conscience que sur l’évolution de l’emploi, car c’est plus difficile à percevoir et à mesurer au quotidien, mais le pouvoir d’achat a été maintenu...donc il va présenter un bilan relativement présentable mais avec encore une fois des promesses qui sont un peu inquiétantes.

- C dans l’air : Mais vous pensez que la reprise économique peut le porter électoralement ?

- Jean-Marc Daniel : Je pense que s’il joue bien, et s’il met en avant le fait que le chômage se réduit, il peut être effectivement porté par la reprise économique sur le plan strictement politique et électoral.


- Dominique Reynié : Aujourd’hui on voit des hypothèses sur des candidats, la très traditionnelle, d’ailleurs assez sympathique du point de vue démocratique, course de petits chevaux, mais le contexte est singulier...mais il y a d’une manière générale la place de la France dans ce nouveau monde qu’est la globalisation. Aujourd’hui on n’a pas encore quelqu’un qui porte un discours, sinon d’ailleurs le Front national qui a un discours de repli et de fermeture, auquel une partie de la France est prête à adhérer, mais on n’a pas un discours qui explique aux Français quel est le chemin pour réussir, non pas pour résister à telle menace ou se mettre à l’abri de telle difficulté, mais comment réussir pour soi et pour les générations qui viennent. Moi j’ai la conviction que ce sera la clé en 2012, on peut ne pas avoir ce débat et passer à côté, mais à ce moment là on prend le risque d’avoir une élection ratée, avec une forte abstention, avec des résultats électoraux qui comme en 2002 sont très surprenants et ensuite problématiques.

- Jérôme Sainte Marie : Je crois que ce thème du déclassement de la France est devenu un thème central. Lors de l’élection présidentielle précédente le thème de la dette s’était imposé à droite, à gauche et au centre, aujourd’hui ce thème du candidat anti-déclin, d’ailleurs ce n’est pas uniquement en France, la candidature d’Obama par exemple se fait justement sur ce thème du président anti-déclin, ça signifie également que ce n’est pas mauvais pour Dominique Strauss Kahn. La question de la crédibilité économique est extrêmement forte, c’est pour cela que lorsqu’on va rentrer dans une période réellement politique, lorsque les gens vont faire leur choix. Le fait que Marine Le Pen se maintienne à un si haut niveau me paraît assez douteux.

- Yves Calvi : Est-ce que des indices économiques, non pas qui tourneraient totalement au vert, avec une baisse continue même modérée du chômage, la croissance qui serait un chouïa plus, est-ce que ça favorise une réélection ? Est-ce que le spécialiste de sociologie électorale sait si les Français, oui ou non, sont sensibles à ce genre de choses ? Un peu comme si on pouvait ouvrir des candidatures plutôt que les fermer ?

- Pascal Perrineau : Oui, c’est ce que l’on appelle d’ailleurs le vote du porte-monnaie. Oui ça pèse dans la décision électorale. La décision électorale a aussi à voir avec les indicateurs économiques, croissance, chômage, un collègue américain, il s’appelle Lewis-Beck a théorisé cela en appelant ça le vote du porte-monnaie, ce vote du porte-monnaie est une composante, c’est vrai que si on avait un chômage qui continue à s’aggraver, une croissance de plus en plus molle, la réélection du président sortant deviendrait quasiment impossible. Si les indicateurs repassent doucement à l’orange et puis éventuellement au vert, s’il y a plus 100 000 créations d’emplois dans l’année qui vient, le paysage politique ne sera pas celui qu’il est aujourd’hui.

- Dominique Reynié : Ça marche plus négativement que dans le sens positif, en 2002 Lionel Jospin n’a pas un mauvais bilan, le contexte n’est pas mauvais, les indicateurs ne sont pas mauvais, et cependant il est éliminé au premier tour.

- Raphaëlle Bacqué : Nicolas Sarkozy paraît l’avoir compris. Est-ce qu’il saura le mettre en œuvre ? Ça c’est autre chose. Mais en tout cas ce que l’on voit bien c’est que le petit groupe justement sur sa campagne travaille sur ces thèmes, pour présenter de façon positive la France dans la mondialisation....on voit bien qu’il a saisi le défi. Est-ce qu’il pourra l’incarner ? C’est ce qu’on verra dans les tous prochains mois.

- Yves Calvi : Peut-il gagner en refaisant la même campagne qu’en 2007 ?

- Dominique Reynié : Je dirais non par principe. D’abord c’est un président sortant, il n’est plus un candidat qui avait réussi. Une personnalité très singulière puisqu’il était quand même au gouvernement depuis 2002. Et s’il avait idée de refaire cette campagne il serait évidemment en difficulté, je pense qu’il serait battu.

- Pascal Perrineau : On a quand même une expérience sous la cinquième, on en a trois même...La deuxième campagne a été toujours extrêmement différente de la première.

- Yves Calvi : Quels faits ou quels actes pourraient permettre à Nicolas Sarkozy d’inverser la tendance en un an ? Pas facile de répondre.

- Jérôme Sainte Marie : Je ne sais pas si la tendance va être inversée, mais ça va se faire tout seul et indépendamment de lui, à partir du moment où le Parti socialiste va commencer à choisir son candidat, à partir du moment où on est plus en train de juger le président mais de juger des président possibles les uns par rapport aux autres, ça provoquera très probablement une inversion de tendance, sera-t-elle suffisante pour qu’il soit réélu c’est toute la question.

- Yves Calvi : Qu’importe qui sera élu, le plan de rigueur sera le même, non ?

- Dominique Reynié : Oui absolument, absolument ! On peut le dire dès maintenant, à partir de 2012, il y aura de nouvelles mesures d’économies en matière de dépenses publiques. Ce sera même probablement plus important. De la même façon qu’il faudra trouver de nouvelles modalités de financement, et la droite comme la gauche ne pourront pas, ne voudront pas le dire clairement avant, de peur d’en payer le prix électoral.

- Yves Calvi : Je crois que vous avez raison, et en même temps je crois que c’est exactement ce que vous venez de nous décrire, sur lequel tout le monde est d’accord autour de cette table, qui fait qu’on a des votes après à l’extrême gauche ou à l’extrême droite, c’est à dire la révolte contre la logique des chiffres.

- Dominique Reynié : Absolument, l’idéal démocratique que nous pourrions atteindre ensemble serait de poser ces sujets tels qu’ils se posent aujourd’hui à nous tous, et d’en débattre collectivement comme d’ailleurs comme d’autres démocraties l’ont fait, assez avec beaucoup de succès. Ce qui ne veut pas dire que tout le monde pense la même chose, mais à partir d’un diagnostic qui est le même, on dit à peu près ce que l’on veut faire, si l’on gagne la majorité.

- Jérôme Sainte Marie : Si cette idée se répand que le plan de rigueur sera le même que ce soit un candidat de gauche ou un candidat de droite qui soit élu, ça profitera plutôt à la droite qu’à la gauche. La promesse essentielle de la gauche c’est quand même de compenser politiquement les dégâts économiques et sociaux du capitalisme, ce n’est pas le cas de la droite.

- Yves Calvi : Si les sondages le donnent perdant Nicolas Sarkozy se présentera-t-il quand même ?

- Raphaëlle Bacqué : Faudrait qu’il ait chuté extrêmement fort, mais encore une fois il ne peut pas faire autrement.

- Yves Calvi : Vous pensez qu’il en a envie ? Il y a des moments où j’ai fini par me poser la question...... je sais que c’est ridicule.

- Raphaëlle Bacqué : Il fait le job quand même pour quelqu’un qui n’en a pas envie, il y va quand même. Il a certainement des périodes de doutes je ne peux pas croire qu’il n’en ait pas.

- Yves Calvi : Nicolas Sarkozy comprendra-t-il que ce n’est pas sa politique que les Français lui reprochent mais son comportement ?

- Pascal Perrineau : Je crois que la question du téléspectateur tape juste. Quand on regarde la courbe de popularité et le début de l’effondrement de Nicolas Sarkozy c’est bien avant la crise économique et financière de 2008 et c’est lié davantage à des problèmes de style d’exercice du pouvoir, à des problèmes de comportement qui lui ont coûté cher, comme si beaucoup de Français qui l’ont élu se disent : « Tiens ! on a élu un président qui a du mal à habiter la fonction ». Et je crois, ça a mis du temps, que Nicolas Sarkozy l’a peu à peu entendu, et ce que Raphaëlle Bacqué décrivait tout à l’heure, c’est à dire un calme, un homme qui habite toute la fonction avec les hésitations qui vont éventuellement être liées à la fonction ont fait leur chemin dans la tête de Nicolas Sarkozy, et ça explique peut-être, ou du moins c’est un des éléments qui explique peut-être ce que vous avez mesuré dans l’enquête CSA, c’est à dire un président qui, une fois qu’il deviendra candidat, est peut-être dans une posture un peu moins défavorable que celle que l’on présente depuis des semaines et des semaines.

- Yves Calvi : Nicolas Sarkozy ayant fait ou engagé des réformes que ses prédécesseurs ont refusé n’a-t-il pas les meilleures chances d’être réélu ? Est-ce que vous pensez qu’il peut jouer sur cette carte ? La carte du courage politique ?

- Dominique Reynié : Il y a des réformes qu’il a portées, typiquement la réforme des retraites qu’il a portée manifestement contre l’opposition, d’ailleurs le parti socialiste a placé dans son programme le retour de la retraite à 60 ans, alors que les Français, de manière indiscutable, pensent que cette réforme était nécessaire, désagréable et nécessaire. Et donc à la fin c’est dans ce genre d’évaluation que le jugement peut se faire à l’avantage de Nicolas Sarkozy, comme celui qui malgré tout a pris des décisions qui étaient de l’intérêt général pour ceux qui pensent que cette réforme était nécessaire.

- Jérôme Sainte Marie : Deux éléments positifs, d’une part la volonté et d’autre part la liberté de mouvement. Je crois que c’est assez important, l’idée de se dire : lui il ne sera pas tenu par un programme ou par un parti, lui finalement il est libre, il est mobile, c’est ce qu’ont peut trouver de positif actuellement.

- Yves Calvi : Sur quels thèmes Sarkozy peut-il jouer pour gagner ? On peut répondre à cela ?

- Dominique Reynié : J’ai la conviction et je m’étonne que cela ne soit pas davantage joué, qu’il est l’un des rares à pouvoir convaincre les Français sur le chemin à suivre pour que ce pays réussisse dans la globalisation. Il y a un discours dominant aujourd’hui dans la classe politique française de repli, de protection, d’isolement face à un monde dont il impossible de s’extraire, je ne vois pas le retour de l’Etat-Nation dans un pays qui dépend à 70% pour sa dette de l’étranger, mais s’il ne joue pas cette partition qui le caractérise comme Dominique Strauss Kahn d’ailleurs...

- Yves Calvi : Comme l’a laissé aussi entendre François Hollande pour l’instant.

- Dominique Reynié : Il sera dans une posture plus difficile parce que concurrencé par des partis qui sont les spécialistes du repli, notamment le Front national.

- Yves Calvi : Est-ce que sous Nicolas Sarkozy l’écart s’est creusé entre les riches et les pauvres ? C’est un des angles d’attaque du Parti socialiste. On arrive à l’évaluer ?

- Dominique Reynié : On arrive à l’évaluer. La réponse est plutôt : non, Les inégalités ne se sont pas creusées.

- Yves Calvi : C’est ce que montre la dernière enquête de l’INSEE...

- Raphaëlle Bacqué : Il incarne le fait d’être le président des riches, c’est ça qui lui colle à la peau et ça : c’est désastreux pour lui.

- Dominique Reynié : En même temps la difficulté c’est que les Français ont l’impression de vivre quelque chose de différent de ce que leur disent les statistiques. Le monde décrit par les statistiques n’est pas le monde ressenti par les Français, il y a donc parfois un doute à l’égard de ces chiffres.


[1Emission de télévision diffusée sur France 5 du lundi au vendredi produite par la société de production Maximal productions, société de Lagardère Entertainment elle-même société de Lagardère Active qui réunit l’ensemble des activités de production audiovisuelle, de spectacle vivant et de gestion des droits artistiques du groupe Lagardère.

[2Comédien italien réputé pour ses capacités à changer et transformer rapidement son apparence pouvant ainsi incarner dans un même spectacle une multitude de personnages différents grâce à une maîtrise hors du commun des changements de costumes ou de déguisements.

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