Les primaires socialistes auront été un casse-tête insoluble pour les sondeurs. Plus encore que les primaires écologistes. Pourtant depuis l’adoption du principe d’une « primaire ouverte » non limitée aux seuls adhérents du PS en août 2009, tous ont eu le temps de comprendre les difficultés liées à l’indétermination du corps électoral et à la notion de sympathisant. S’ils ont fini par les avouer après la victoire d’Eva Joly sur Nicolas Hulot, contre leur pronostic, aucun n’en a tiré les conséquences. Pouvait-on espérer que les sondeurs renoncent à commercialiser un produit dont ils savent qu’il alimentera les commentaires de tous et plus généralement les conversations de salon ou de comptoir. Si, malgré tout, les critiques devenaient trop fortes, il serait toujours temps de répéter l’inévitable réponse aux empêcheurs de sonder en rond : les sondages ne donnent que des indications.
Une telle modestie risque d’émouvoir. Deux questions demeurent : ces indications sont-elles exactes ou fausses et ont-elles des effets sur les élections elles-mêmes ? On concèdera que les sondages donnent aussi des indications… sur les sondeurs eux mêmes et le chaos méthodologique de la profession.
Des échantillons insignifiants et non représentatifs
Les 34 sondages consacrés aux primaires socialistes, jusqu’au 20 septembre 2011, souffrent tous de l’insuffisance de leurs échantillons et sous échantillons de répondants effectifs aux questions. Les sondeurs annoncent des échantillons initiaux conséquents de 1500, 3500 sondés et plus, alors que le nombre de personnes interrogées réellement, sur leurs intentions de vote ou sur leurs souhaits, avoisine péniblement quelques centaines. Par ailleurs la dissemblance des types de populations effectives de ces sondages rend toute comparaison et toute discussion sur l’évolution des opinions comptabilisées parfaitement futiles. En effet la labellisation partisane reposant sur la seule déclaration des sondés, la proportion des sympathisants dits de gauche, par rapport à l’ensemble de l’échantillon initial censé être représentatif de la population française est variable selon les enquêtes. Cette remarque vaut également pour les « sympathisants » du PS par rapport aux « sympathisants » de gauche. Dans un tiers des enquêtes (11 exactement, celles de CSA, Harris Interactive, Lh2 et de l’Ifop-Jdd du 11 septembre), ces incohérences sont accentuées par l’absence d’indication de l’effectif des sympathisants de gauche qui ont répondu aux questions. Que peuvent bien signifier des pourcentages de sympathisants si leur effectif au sein d’une population globale n’est pas indiqué ? Sinon la « légèreté » de celui qui les publie ou qui les commente.
Tableau récapitulatif des sondages sur les primaires socialistes
{{}} | (Sous échantillon) |
||
BVA [1] | |||
CSA [3] | 838 (tél) 825 (tél) 850 (tél) 863 (tél) |
nc nc nc nc |
142 132 136 121 |
Ipsos [4] | |||
OpinionWay [6] | 2379 (internet) 3012 (internet) 2715 (internet) 3202 (internet) |
974 (PS : 584) 1334 (PS : 784) 1113 (PS : 668) 1311 (PS : 819) |
193 253 211 222 |
Harris-Interactive [8] | 802 (internet) 1315 (internet) 1320 (internet) |
nc nc nc |
/ 118 132 |
Ifop (France Soir) [9] | 1021 (tél) 1925 (tél) 958 (tél) 969 (tél) 1016 (tél) 1911 (tél) 1976 (tél) 2025 (internet) 2009 (tél) 1962 (tél : 959/ internet : 1003) |
543 1052 (PS : 448) 529 524 577 1061 (PS : 517) 1059 (PS : 482) 803 (PS : 442) 1028 (PS:502) 867 (PS:421) |
/ 231 [10] / / / / / / / 176 |
Ifop (Jdd) [11] | 2116 (tél:1106/internet:1010) 1968 (tél : nc/ internet : nc) |
854 (PS : 439) nc |
/ 106 |
Viavoice [12] | 2680 (tél) 1007 (tél) |
800 501 (PS : 275) |
216 / |
Lh2 [13] |
Les entorses à un critère élémentaire de la représentativité ont fait réagir des responsables politiques, verbalement comme Martine Aubry [14], ou procéduralement comme Ségolène Royal qui a saisi la haute autorité des primaires citoyennes, instance de contrôle des socialistes. La recommandation de cette dernière publiée le 8 septembre 2011, renvoie prudemment à la commission des sondages dont on peut douter de la compétence (cf. Recommandation n°9 sur les sondages et la pluralité dans les medias). Indice de l’embarras des sondeurs, sur les 34 recensés, 20 sondages comprennent une question sur la participation au vote, mais seulement 9 intègrent une question sur les intentions de vote [15]. Par contre, 22 interrogent les sondés sur la personnalité qu’ils souhaiteraient voir désignée à l’issue de des primaires et 3 se résument à une question unique sur la participation au scrutin.
Extrapolations sauvages
Sans doute persuadés de faire preuve de créativité, des sondeurs comme OpinionWay, résolus à jouer à « l’intention de vote à tout prix », ont inauguré une nouvelle parade à la faiblesse des échantillons. Ils ont été explicitement soutenus par la commission des sondages, sortie à cette occasion d’une longue léthargie en avril 2011 (Cf. Présidentielle : la commission des sondages lave toujours plus blanc). Cette correction des échantillons « riquiqui », selon le mot aimable de Martine Aubry, s’appuie sur une équation inspirée plus vraisemblablement de la bible que des statistiques. Elle propose une équivalence entre le nombre de sondés ayant manifesté l’intention de participer à la primaire socialiste et le corps électoral français (45 millions personnes environ). Cela permet à BVA d’affirmer le 15 septembre 2011 que « 402 personnes certaines d’aller voter = 6,5 millions d’électeurs ». Cette opération de multiplication des pains est cependant très différente selon les sondeurs. Le tableau ci-dessous présente les extrapolations basées sur les intentions de participations et sur les déclarations de chaque sondeur. Par exemple, le sondé de CSA « pèse » 5 fois plus lourd que le sondé d’Ipsos. Si l’on dit qu’un sondé « vaut » 52066 électeurs, il a de quoi se sentir flatté.
{{}} | |||||||
Sondé |
Il faut s’émerveiller des audacieuses conjectures des commentateurs :
- « Un potentiel de participation très impressionnant : un quart des Français (25%) envisagerait de participer et 15%, soit 6,5 millions de personnes, se déclarent même absolument certains de voter » (402 personnes sûres d’aller voter) (Bva-PQR-Orange-RTL, 15 septembre 2011).
- « La part des Français qui se déclarent prêts à aller voter aux primaires socialistes est ce mois-ci de 29%–chiffre que l’on sait très supérieur à celui de la participation réelle, même si l’on ne considère que ceux qui se disent certains d’y aller voter(14%) » (CSA-BFM TV-20Minutes-RMC, 25 août 2011).
- « En trois mois, la part d’électeurs se déclarant certains d’aller voter passe de 9 à 11%. Rapportés au corps électoral total, cela représenterait environ quatre millions de votants. Un chiffre très nettement supérieur aux prévisions des dirigeants socialistes qui tablent sur un million de votants » ( JDD , 12 septembre 2011).
- « 18% des électeurs sympathisants de gauche pourraient participer aux primaires du Ps soit 2 à 2,5 millions d’électeurs » (OpinionWay-Le Figaro-LCI-Fiducial, 15 avril 2011).
- « 10% des Français déclarent aujourd’hui, une fois les conditions de la participation au scrutin exposées, qu’ils iront certainement voter à la primaire socialiste » (Harris-Interactive-Le Parisien 23 août 2011).
- A quelques mois de la primaire socialiste, 30% des Français en âge de voter déclarent avoir l’intention de participer à cette élection, dont 14% « certainement », un taux qui se rapproche du taux escompté par les organisateurs, notamment à l’aune des exemples étrangers (en Italie ou en Grèce par exemple) » (Lh2-Nouvel Observateur, 13 avril 2011).
- Le potentiel de participation issu de l’enquête est de 9%. Les électeurs surestiment cependant systématiquement leur participation. Pris à la lettre, ce chiffre signifierait qu’environ 3,8 millions d’électeurs participeraient à la primaire. Sans que l’on puisse estimer à ce stade de combien il faudrait déflater ce niveau de participation déclaré, on mesure cependant que la barre d’une participation de plus d’un million d’électeurs est tout à fait envisageable et que les 2 millions sont également possibles » (Ipsos, Le Monde-France Télévision-Radio France, 26 août 2011).
Opacité, approximation et absurdité
Une autre innovation a été tentée même si elle n’est pour l’instant que celle de deux sondeurs et de trois sondages sur les 34 : le mélange du téléphone et d’internet. Destinée à faire face au refus croissant des sondés à répondre, sauf si on les « remercie » en les payant de diverses manières, ce nouveau mode d’administration des questionnaires, combine les biais spécifiques à l’une et à l’autre méthode (plus nombreux pour les sondages en ligne) affectant encore plus la cohérence de l’ensemble et donc sa signification, car on ne corrige pas un biais par un autre, les biais ne s’annulent pas, ils s’ajoutent.
Les sondages sur les intentions de vote ont joué un rôle crucial dans la reconnaissance de la fiabilité des sondages grâce à des redressements. Les sondeurs ne publient pas les chiffres bruts mais les chiffres redressés. Il faut les chiffres des consultations antérieures pour affecter un coefficient de redressement aux intentions de vote déclarées. Or, sur quel scrutin les sondeurs des primaires se baseraient-ils ? Il n’y en a pas.
Quant aux 22 « sondages » relatifs à la candidature préférée à l’issue des primaires, il n’est pas sûr que la réponse ait quelque réalité, surtout lorsque des sondés déclarent leur préférence sans aucune intention d’y participer (8 sondages sur 25). La gratification promise par les sondeurs en ligne a certainement contribué à ce que les sondés ne craignent pas l’incohérence. Ce type de sondages n’est qu’un avatar des enquêtes de popularité et ne fournit qu’un indice de la notoriété des personnalités tout contribuant à l’alimenter. A cause de l’indétermination du corps et électoral comme celle de sympathisant, (ni vraiment adhérent, militant, ou électeur d’un parti politique) qui plus est lorsque le scrutin est ouvert comme c’est le cas pour ces primaires, ces sondages « invitent », une partie du moins, des sondés à désigner l’adversaire qu’ils préfèrent ou la personnalité envers laquelle ils nourrissent le moins d’hostilité, favorisant le candidat le moins partisan a priori. Paradoxal pour des élections organisées par un parti politique.