Comme d’autres journalistes politiques, Thomas Wieder semble confier ses facultés intellectuelles aux sondeurs, qu’il cite comme un chapelet. C’est ce que laisse penser son dernier article, intitulé « Les électeurs FN sont plus nombreux à assumer leur vote » (Le Monde, 20 novembre 2011). Autrement dit, les sondés seraient moins nombreux à cacher leur futur vote alors que les intentions de vote en faveur de Marine Le Pen se situent entre 16 et 21 % depuis la mi-mai. Foi de sondeurs. Thomas Wieder s’en remet à plusieurs d’entre eux. Les chercheurs qui ont travaillé sur ces questions, dont s’inspirent les sondeurs sans jamais les citer, sont d’ailleurs délibérément ignorés. Oubliée aussi la honte du sondage Harris Interactive pour Le Parisien du 5 mars dernier, qui l’avait placée en tête avec 23% au premier tour. Pourtant, l’écart de 5 points voire 6-7 entre les diverses entreprises de sondage aurait dû l’inciter à la prudence (dimanche 20 novembre, LH2, pour Yahoo, lui accordait 15%).
Qui plus est, Thomas Wieder cède à deux contradictions majeures (sans s’en rendre compte on imagine) :
1 - Les redressements seraient similaires pour tous les candidats. Mais, outre le fait qu’ils sont soigneusement tenus secrets, cela est contradictoire avec l’idée que le vote FN serait "dicible" et qu’il n’y a donc plus besoin de procéder à des redressements. Du moins aussi importants que par le passé : certains sondeurs doublaient et au-delà les intentions déclarées. Certains indices laissent d’ailleurs penser que les sondés en ligne sont plus politisés que la moyenne et donc que les déclarants FN sont un tantinet plus nombreux qu’en réalité. Il faudrait alors peut-être (mais aussi loin du scrutin, tout cela a-t-il un sens ?) appliquer un coefficient inverse, qui minimise les intentions de vote Le Pen lorsque les sondeurs emploient ce procédé de « récolte. »
2 - T. Wieder fait à nouveau confiance au raisonnement des sondeurs dans son dernier alinéa en prévoyant une hausse qui serait habituelle - donc inévitable - des intentions de vote dans les derniers jours alors que cette soi-disant progression est un artefact dû à la comparaison entre les votes réels et les intentions de vote sous-estimées par les sondeurs… Or si rien ne laisse penser qu’un tel scénario arrivera, des efforts sont entrepris pour influer sur les votes.
En fait, tout se passe comme si certains journaux soutenant le candidat du centre-gauche F. Hollande (Le Monde, Libération, Le Nouvel Obs) voulaient à toute force éviter un second « 21 avril » en faisant peur aux électeurs et en forçant le « vote utile » au premier tour, quitte à s’arranger avec les chiffres. T. Wieder achève son papier par cette phrase : « Si le même scénario se répète pour sa fille, c’est bien au-delà de 16% à 20% qu’elle se situera au soir du 22 avril 2012. ». Ces journaux ont-ils si peu confiance dans leur candidat qu’ils ressentent la nécessité de jouer sur ce ressort ultime ?