Plus encore peut-être que d’autres professions, celle de journaliste qui se présente généralement comme l’un des piliers de la démocratie, accepte très difficilement la critique. Les accusations tout azimuts, à tendance complotiste ou paranoïaque, comme celles proférées récemment par Laurent Wauquiez ou Jean-Luc Mélenchon la rendent plus difficile encore. Renforçant la tentation de condamner toute critique, quelle que soit sa nature ou son origine, au rayon des attaques contre la liberté d’expression et la démocratie. Une réaction classique bien que fort regrettable, voire déplorable, comme celles des sondeurs pour qui la critique des sondages trahirait les sentiments antidémocratiques de leurs auteurs (Lire Popularité de Poutine : la plaisanterie).
Avec de tels critères d’évaluation la critique du sondage, pourtant fortement biaisé, publié à l’occasion des assises internationales du journalisme de Tours (14 ou 19 mars 2018) commandé à Viavoice par France Télévision, Radio France, le JDD, est assurément doublement condamnable. Critiquer une « enquête » sur le journalisme commandée par des journalistes (On n’est jamais mieux servi que par soi même) ? Qu’à cela ne tienne.
Il n’est pas nécessaire de se préoccuper ici de la « tambouille » méthodologique pour en apprécier la qualité (sondage par internet auprès de sondés rémunérés). La mention de quelques questions devrait suffire à découvrir le pot aux roses... « Des roses » de belle taille pourrait on dire si l’on ne craint pas les détournements étymologiques.
Difficile de ne pas réunir une forte majorité d’approbations à de telles propositions (ou une forte majorité de désapprobations quand les propositions sont à l’évidence sujettes à caution, celles portant sur les réseaux sociaux). Si les éditions du Seuil cherchaient des auteurs pour leur collection « Expliqué à », [2], ils en tiennent quelques uns. Quant au titre de l’ouvrage il est tout trouvé : « la manipulation expliquée à ma fille ». On attend, mais sans impatience que d’autres professions adoptent la même méthode. On peut néanmoins déjà donner quelques résultats qui ne devraient guère être différents de ceux de Viavoice (80% voire 100% « d’accord » pour certaines propositions) :
la médecine est utile / la médecine est indispensable à la santé.
la police est utile / la police est indispensable pour lutter contre la criminalité, dans une société démocratique, etc.
la justice est utile/ la justice est indispensable dans une société démocratique.
l’enseignement est utile / l’enseignement est indispensable dans une société démocratique.
Sans oublier
la critique est utile / une société sans critique n’est pas démocratique.
Seules informations utiles (ou enseignement comme aiment à dire les sondeurs) de cette pseudo enquête. Le désarroi journalistique doit être de grande ampleur pour que des membres de la profession, même si l’on sait par ailleurs qu’elle est très friande de sondages, passent commande et se réjouissent (un peu) d’une « enquête » aussi caricaturale [3]. Qu’ils éprouvent le besoin d’un assentiment, de « sondés » ou « des Français », sur leur rôle, leur fonction, leur profession etc., qui plus est « mis en page » en termes aussi vides ou tronqués est encore plus troublant.
On se rassure comme on peut.