A la une du quotidien le Monde du 22 septembre 2010, un titre assure que « 79% des Français souhaitent une réforme fiscale ». Laquelle ? S’agit-il d’une idée de justice fiscale, de rationalité ou s’agit-il seulement d’un espoir de payer moins d’impôts ? On ne trouve pas trace d’une interrogation sur le statut d’une question aussi générale sur la fiscalité, sujet de tous les fantasmes. Il fut un temps où les sondeurs l’auraient fait et, peut-être, pris des précautions. Ceux-là sont à la retraite et regardent avec circonspection et parfois tristesse les pratiques de leurs cadets. Et puis, l’important est peut-être dans ce qui suit : « Selon un sondage TNS Sofrès, seulement 54 % sont favorables à la suppression du bouclier fiscal ». Confirmation à l’intérieur du quotidien, c’est le titre de la page. Comment interpréter ce chiffre ?
En matière de pourcentages, il est plusieurs évaluations possibles : la plus banale est de faire des sondages un substitut de vote au scrutin majoritaire. Il suffit donc de dépasser la barre des 50 % pour pouvoir affirmer que les Français - ou d’autres - sont favorables ou défavorables à ceci ou cela. Cela suffit…
Autre grille de lecture : l’unanimisme. Alors, on souligne la quasi unanimité – l’unanimité étant impossible à atteindre, les hommes étant ce qu’ils sont…- en faveur de telle ou telle mesure. Alors, selon une expression dont les locuteurs ignorent les connotations impériales, du moins en France, les Français « plébiscitent » telle mesure ou telle autre. Et tant pis s’ils n’ont guère le choix de plébisciter le bien, la beauté, l’honnêteté. La réponse est souvent dans la question…
Troisième étalon de mesure. Ce que l’on croyait est démenti par le sondage. Alors, on s’étonne ! Qui croyait ? Qui s’étonne ? Tout le monde, bien sûr…Voilà un principe très subjectif.
Les trois modes d’interprétation sont appliqués dans le commentaire du sondage sur la fiscalité : le premier affichant un score de 79 % suggère une quasi unanimité ; le second nous renvoie à une majorité de 54 % avec une curiosité : ce « seulement » qui, en d’autres cas, serait une majorité large ou nette, désigne ici un piètre score. Cela annonce le troisième critère d’évaluation : le principe subjectif de la surprise : « on pouvait s’attendre à un niveau d’opinions positives sensiblement plus élevé ». Le terrain est alors préparé pour le développement surprenant car, si les 54 % de sondés – et non des Français comme on ne le répètera jamais assez – sont favorables à la suppression du bouclier fiscal (encore un intitulé sur lequel il faudrait s’interroger), il en est 9 % sans opinion (c’est beaucoup pour une mesure qui semble si simple) et surtout, cela ne fait que 37 % des sondés favorables au bouclier fiscal. Certes, cela fait beaucoup plus que ceux qui en profitent, indication supplémentaire de ces phénomènes d’idéalisation par lesquels beaucoup de gens pensent qu’ils en feront partie un jour (de doux rêveurs pour la plupart), d’autres qui se croient plus riches qu’ils ne sont, d’autres qui croient faire riches en déclarant ceci aux enquêteurs, et les imbéciles… On conviendra que cela ne fait pas une explication.
Mais de confusion en glissements, le terrain est prêt pour le coup de force : avec 37 % d’opinions opposés à la suppression du paquet fiscal, le sondeur affirme (en gros caractères) : « L’idée selon laquelle pas plus de 50 % des revenus doit aller au fisc semble admise » (Carine Marcé). Si une minorité de 37 % permet d’affirmer cela, il faut revoir les normes habituelles d’évaluation. L’interprétation par la stupidité du sondeur et du journaliste ne vaut qu’à moitié car s’ils risquent un peu du crédit qui leur reste, ils ne sont tout de même pas complètement dupes. Faut-il dire alors qu’ils font un coup politique selon leurs convictions idéologiques ou qu’ils sont corrompus pour proférer, au regard des normes les plus ordinaires de leur métier, une contre-vérité ?
Nous avons ici affaire à un push poll qui, commandé par le pouvoir, nous permet de préciser la compréhension sur deux points :
un push poll suppose de publier un sondage favorable à une cause sans être forcément truqué. Selon cette logique, il l’est si cela est nécessaire. Il peut alors être truqué sur quatre points : 1/ les questions sont biaisées de manière à obtenir certaines réponses ; 2/ les données statistiques sont fausses comme il est toujours difficile de le prouver mais comme cela est parfois possible et en tout cas, si l’on en croit quelques anciens sondeurs, comme cela s’est parfois fait ; 3/ les agrégats sont définis selon les intérêts de la cause ; 4/ les commentaires travestissent les résultats. Nous sommes ici en face de ce dernier cas.
Il est intéressant que la rédaction politique du journal Le Monde se prête à ce genre d’opération dont on suppose qu’elle s’est faite en connaissance de cause tant elle est grossière. Il est aussi intéressant de constater que TNS-Sofrès s’y livre. Là, l’explication est plus apparente : les sondeurs dépendent trop des commandes publiques pour ne pas faire plaisir au pouvoir en place. Ils vont être mis à rude épreuve dans les mois qui viennent. Avec l’affaire des sondages de l’Elysée qui a décrédibilisé OpinionWay, l’IFOP a d’autant moins hésité à prendre la relève que la proximité politique avec le pouvoir sarkozyste y a aidé. Dorénavant, TNS-Sofrès, principal pourvoyeur de sondages du SIG, est entré dans la danse du trucage.