observatoire des sondages

De la critique à l’interdiction : quand les politiques se mêlent de sondages

mercredi 4 mai 2022

Inculture en science politique oblige les griefs des politiciens (pour la plupart, qu’ils soient professionnels ou amateurs) à l’égard des sondages se concentrent principalement sur ceux qui leur sont défavorables ou dont les résultats déplaisent. Sur les intentions de vote les rares qui en appellent à leur interdiction n’échappent pas à ce diagnostic, quand bien même leur motivation se fonde sur une perception d’effets délétères qu’elles induisent sur les scrutins comme celui du « vote utile » [1].

A l’image du sénateur D. Regnard (LR) qui annonçait récemment vouloir déposer une proposition de loi visant leur interdiction durant la campagne officielle. Une initiative politiquement incorrecte somme toute relative puisque seuls les 15 derniers jours précédant le premier tour de scrutin sont concernés (Cf. « Pourquoi je veux interdire la diffusion de sondages avant la présidentielle », Le Jdd, 28 avril 2022).

On pourra par exemple « regretter » que pour démonter les nuisances de cette publication et sur la sincérité du scrutin il s’appuie notamment sur des écarts entre des mesures effectuées à des dates éloignées les unes des autres et de l’échéance finale, celles créditant sa candidate V. Pécresse (LR) passant de 18% (Elabe la donnait même victorieuse face à E. Macron, BFM TV 7 décembre 2021) à 14 % (OpinionWay, 22 février 2022) et 9,5% (Harris Interactive 28 mars 2022). Or, « tout le monde » ou presque (même la presse qui les publie malgré tout) s’accorde sur le fait que plus la date de scrutin est lointaine plus les intentions « recueillies » ou extorquées sont dans le meilleur des cas une plaisanterie épistémologique.

En outre si comme il le fait justement remarquer les lignes éditoriales et la composition des plateaux sont « dictées » par les sondages pourquoi donc se limiter aux 15 jours de campagne officielle alors qu’en réalité la campagne commence, depuis longtemps, bien avant, 6 mois voire beaucoup plus.

Last but not least, passe encore pour un « citoyen lambda », pour un journaliste et a fortiori un sondeur, on pourra trouver néanmoins cocasse qu’un législateur oublie un argument juridique de premier ordre à l’appui de sa proposition de loi : la Constitution, et notamment son article 3 instaurant le secret du vote [2]. La garantie constitutionnelle du secret du vote n’est pas tant une limite posée à la liberté d’expression et encore moins de commerce (des sondages) qu’une mesure visant à proscrire les tentatives d’influencer celui ou celle qui va voter. C’est en substance ce qu’a rappelé le Conseil constitutionnel au député candidat J. Lassalle qui a voulu faire « malin » en mettant scène dans son bureau de vote sa propre abstention au second tour du scrutin (filmée et diffusée sur les « réseaux sociaux »). Le Conseil a annulé l’ensemble des bulletins de vote du bureau estimant que l’élu avait ce faisant porté atteinte à la sincérité du vote, pas le sien on l’aura compris (cf. Décision n° 2022-197 PDR du 27 avril 2022). Ce dernier s’est ensuite piteusement excusé pour son geste et annoncé qu’il ne se représenterait aux législatives à venir.

Si les arguments scientifiques et juridiques ne manquent pas pour justifier l’interdiction de la publication d’intentions de vote, ils ont toujours autant de mal à être entendu distinctement par les politiques. On pourrait être déçu, éventuellement, surpris non. Tant pis.


[1Vote pour un candidat ayant au vu des sondages le plus de chances d’être élu plutôt que pour celui que l’on préfère.

[2Alinéa 3 : Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret.

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